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Page:Revue des Deux Mondes - 1893 - tome 117.djvu/803

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dissimula rien de ce dont il avait été chargé, de ce qu’il avait été dans le cas de faire et de dire. L’empereur, de son côté, sur le compte qui lui fut rendu de cette conférence, reconnut que M. de Labouchère, n’ayant fait qu’exécuter les ordres de son souverain, était entièrement irréprochable, et M. de Champagny eut pour instructions de le traiter avec beaucoup d’égards, même avec distinction.

C’est ici le lieu de dire qu’une mésintelligence toujours croissante s’était établie entre lui et son frère, depuis le jour où celui-ci était monté sur le trône, et qu’il était impossible qu’elle n’amenât pas d’un moment à l’autre les plus graves conséquences. Le caractère de Louis-Bonaparte est une des bizarreries de cette époque, et il mérite que je m’y arrête quelques momens. Cet homme avait, il faut en convenir, d’estimables qualités ; il joignait à un sens droit un grand fonds de moralité, mais il était défiant et d’une prodigieuse susceptibilité, qu’accroissaient encore les souffrances d’un tempérament maladif. Marié avec la fille de Joséphine, la pente de son esprit jaloux l’avait promptement conduit à concevoir, sur la conduite de sa femme, les soupçons les plus offensans, justifiés bientôt par les manières beaucoup trop libres de celle qu’on lui avait donnée pour compagne. Il y eut, entre Hortense et lui, des scènes extrêmement vives, et, si quelque chose a pu l’étourdir sur le malheur de monter au trône et d’arriver à une situation dont il prévoyait toutes les amertumes, ce fut, avec l’avantage d’enlever sa femme à la cour beaucoup trop libre de son frère, la pensée qu’il pourrait l’assujettir, en Hollande, à un genre de vie plus conforme à ses goûts et à ses convenances particulières.

Il en fut donc pour lui de la royauté comme du mariage. Il en prit les devoirs beaucoup plus que les jouissances. Il se fit Hollandais, se dévoua à ses sujets, prenant la défense de leurs intérêts, sans même regarder s’il avait chance de le faire avec succès. Napoléon l’avait envoyé régner à Amsterdam pour s’assurer que la Hollande serait constamment soumise à ses volontés et qu’il y commanderait aussi absolument que si elle eût été rangée au nombre de ses provinces. Le roi Louis, au contraire, voulut être un allié de la France, mais un allié dont les intérêts seraient compris et comptés pour quelque chose. La lutte devait se trouver bientôt engagée. Napoléon s’en irrita d’autant plus qu’il ne tarda pas à s’apercevoir que son frère devenait chaque jour plus agréable, plus cher aux Hollandais, tandis que lui, par une conséquence nécessaire, leur devenait de plus en plus odieux.

Il faut lire, dans les Mémoires du roi, les pièces et les détails relatifs à ce malheureux débat entre les deux frères. Appelé à Paris