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lumière électrique. Vous savez qu’il y avait une entrée de seize femmes représentant les quatre élémens. Elles étaient presque toutes très jolies, très décolletées, avec des jupes fort courtes. Mme  de Labédoyère et Mlle  Errazu étaient à croquer. Seulement, les naïades étaient poudrées avec des paillettes d’argent qui, tombant de leurs épaules, ressemblaient à des gouttes d’eau. Les mauvaises vues, comme la mienne, les croyaient trempées de sueur et on avait envie de les bouchonner comme des chevaux de course. La comtesse Walewska avait beaucoup de perles et de diamans très beaux ; Mme  de Bourgoing était en Mme  Polichinelle, la princesse Mathilde en Nubienne, peinte couleur de bistre, si bien que personne ne la reconnaissait. La fille cadette de lord Cowley était en Muse, en Grâce, ou je ne sais quoi. Il m’a semblé qu’on montrait bien des choses ; surtout les pieds et les bas de jambes, qu’on n’avait pas vus depuis 1825, produisaient beaucoup d’impression. Après la réapparition des pieds, le fait le plus important me paraît être la niaiserie des dominos. Rarement savaient-ils dire autre chose que : « Je te connais. » Cette bêtise prouve en faveur des mœurs. Il y a eu un scandale, pourtant. Mme  de S… a été embrassée par un domino mâle et s’est lâchée outrageusement en nommant le coupable. Heeckeren a été embrassé aussi, mais par sa fille, à ce qu’on prétend. Il y avait deux femmes en hommes, Mme  C… et Mme  W… et, malgré des bottes à l’écuyère et des basques tombant jusqu’aux genoux, cela me semblait un peu scandaleux. J’ai causé un instant avec l’impératrice, très peu et très simplement déguisée, qu’on reconnaissait d’une lieue à sa main et à sa marche, ainsi qu’un domino bleu qui tortillait la barbe de son masque, quand il ne tenait pas son pouce dans sa main. Nieuwerkerke était un très vilain Henri IV, Edgar Ney un très beau Suisse, avec un pourpoint tailladé rouge, jaune et bleu, d’une exactitude à réjouir tous les antiquaires. Le plus amusant était le duc de Dino en arbre, accrochant tout le monde avec ses branches, et derrière lequel les gamins faisaient semblant de le prendre pour un vrai arbre. Il y avait aussi quelques Anglaises en nymphes, en Grecques et en marquises Louis XV, qui ressemblaient à des chiens savans. Je suis fâché de dire que miss B… était du nombre des plus cocasses. Somme toute, c’était très beau, très riche et très en train[1]). »

Peu à peu, à mesure que les années viennent, apportant avec elles les infirmités, sa plume se fait chagrine et boudeuse. Les couleurs du brillant tableau qu’il aimait tant à regarder et qu’il ne se lassait pas de décrire se brouillent et se ternissent sous l’ombre

  1. Correspondance inédite avec la comtesse de Montijo, 28 avril 1860.