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Page:Revue des Deux Mondes - 1893 - tome 117.djvu/834

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sionnels ; ces derniers seuls, comme le nom l’indique, ont trouvé dans le jeu d’échecs un moyen d’existence ; ils prennent le titre de professeurs ; quelques-uns donnent des leçons qui se paient fort cher ; mais c’est le petit nombre : la plupart cumulent avec la qualité de professionnel un autre emploi plus lucratif ; d’autres, moins heureux, se tiennent dans quelques cafés connus, où ils attendent le client amateur qui veut bien leur payer vingt sous une partie d’échecs.

Les cafés et les cercles sont les lieux ordinaires des tournois et des matches. À Paris, on joue aux échecs au café de la Régence, au Grand cercle de l’Union latine, au cercle Magenta, etc. Les échecs sont cultivés dans le monde entier, depuis Saint-Pétersbourg jusqu’à La Havane ; et les plus forts joueurs ont pu se mesurer ensemble, grâce aux nombreux matches qui se font par correspondance, et même par télégraphe.

Dans quelle partie du monde les échecs sont-ils le plus en honneur ? Avant la fin du siècle dernier, les forts joueurs étaient exclusivement des Latins, Italiens, Espagnols ou Portugais ; ils s’appelaient Greco, Lucena, Salvio, Carrera, Damiano, Lopez, etc. Les bibliothèques de France et d’Allemagne renferment une grande quantité de traductions de leurs ouvrages.

Après avoir tenu le sceptre des échecs pendant plusieurs siècles, la race latine l’a perdu, et ne semble pas avoir quelque chance de le reconquérir ; les Germains, les Slaves, les Anglo-Saxons, les Juifs surtout nous ont largement dépassés. Dans une liste de célébrités qu’a bien voulu dresser pour moi M. Preti, je compte dix-huit Juifs sur soixante-deux joueurs ; parmi ces Juifs une moitié est de la Pologne, l’autre de la Hongrie ; presque tous les forts joueurs juifs sont des « professionnels, » ce qui montre bien le caractère sérieux de cette race. En Allemagne, il n’y a pas de professionnels, et, fait digne de remarque, les forts joueurs sont presque toujours des hommes dont la position sociale a exigé des études sérieuses ; M. Berger est professeur, M. Fritz est magistrat, M. Goetz, Alsacien, est docteur en philosophie, M. von der Lasa est ministre plénipotentiaire, M. Tarrasch est médecin. Les Germains étudient les échecs scientifiquement ; c’est parmi eux qu’on trouve le plus grand nombre de joueurs de première force.

Les Anglais considèrent plutôt le jeu d’échecs comme un délassement d’esprit ; ils n’en font pas une étude approfondie, mais le pratiquent beaucoup ; c’est la nation où ce jeu est le plus en honneur, et qui compte le plus de joueurs de force moyenne. Quant aux Latins, ils semblent vouloir prendre au pied de la lettre la maxime d’après laquelle les échecs sont trop frivoles pour une étude, et trop sérieux pour servir de délassement.