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-cinq ans le sceptre des échecs et auquel on a donné le beau titre de champion du monde.

Les joueurs de seconde force sont ceux auxquels les joueurs de première force rendent un pion et accordent le trait, c’est-à-dire la faculté de jouer le premier ; et l’on caractérise de même les joueurs de troisième, quatrième et cinquième force, suivant qu’on leur rend la tour, le cavalier ou la dame.

Ces différences de force entre les joueurs tiennent moins, m’assure-t-on, à l’influence de l’exercice qu’à l’inégalité des intelligences. La maîtrise aux échecs est un don de nature. Sans doute, tout le monde peut apprendre les échecs ; toute personne intelligente et appliquée peut arriver à jouer convenablement ; quelques-uns seulement sont marqués pour devenir de première force ; on devient bon joueur ; on naît joueur de première force. C’est si vrai que chaque personne, après avoir atteint par la pratique et l’étude un certain degré de force, ne dépasse plus guère ce degré ; c’est la limite naturelle de son esprit. Prenons des exemples célèbres ; voici MM. Blackburne et Steinitz, deux grands maîtres. Depuis vingt ans, ils se sont bien souvent mesurés ensemble, toujours M. Steinitz a eu le dessus ; sur une dizaine de parties jouées, M. Steinitz a toujours gagné la majorité, au moins six. La constance de cette supériorité est d’autant plus curieuse que l’inégalité de deux joueurs de ce genre est extrêmement petite ; c’est une nuance ; si M. Steinitz faisait le moindre avantage à son adversaire, fût-ce d’un pion, il serait sûr d’être battu.

Ces distinctions étant établies, il nous sera facile de rechercher si le nombre des parties jouées sans voir présente quelque relation avec la force du joueur. Deux propositions nous paraissent résumer assez fidèlement les faits que nous avons recueillis.

D’une part, il est à peu près certain que tous les professionnels et amateurs forts sont capables de jouer sans voir, au moins une partie. Il existe donc une relation directe entre la mémoire du joueur et sa force de combinaison ; on ne saurait du reste s’en étonner, puisque même devant l’échiquier on joue dans une large mesure sans voir et que les combinaisons se font de tête.

D’autre part, et cette seconde proposition corrige un peu l’effet de la première, il n’existe aucune proportion exacte entre le nombre de parties jouées de mémoire et la force du joueur. Sur ce point, les témoignages abondent. M. Steinitz, dont nous venons de citer le nom, et qui est le premier joueur de notre époque, n’a jamais joué que quatre parties sans voir, ce qui est un assez médiocre tour de force de mémoire pour lui ; des adversaires qu’il battrait avec facilité lui sont bien supérieurs à ce point de vue. Un jeune magistrat d’Allemagne, M. Fritz, qui a joué sans voir