étoffe est-elle faite ? À quoi ressemble-t-elle ? Nous venons de voir qu’elle représente souvent d’une manière confuse et inexacte la position ; dans les cas où elle est exacte et précise, comment la représente-t-elle ? Peut-on dire qu’elle est une répétition des sensations reçues par l’œil quand on regarde un échiquier pendant le combat ? La vision mentale du joueur ressemble-t-elle à la vision réelle comme une copie, comme une peinture exacte, comme une photographie en couleur ?
On l’a cru. Pendant longtemps, le seul document qui existait dans la science était l’observation publiée par M. Taine. M. Taine écrivait au sujet de la mémoire visuelle des joueurs : — « Il est clair qu’à chaque coup la figure de l’échiquier tout entière avec l’ordonnance des diverses pièces leur est présente, comme dans un miroir intérieur, sans quoi ils ne pourraient prévoir les suites probables du coup qu’ils viennent de subir et du coup qu’ils vont commander. » — Parlant de l’ami dont il a pris l’observation, M. Taine ajoutait : — « Il voit la pièce, la case et la couleur exactement telles que le tourneur les a faites, c’est-à-dire qu’il voit l’échiquier qui est devant son adversaire, ou tout au moins qu’il en a une représentation exacte et non pas celle d’un autre échiquier. »
Cette observation, comme nous avons eu l’occasion de le montrer à M. Taine, notre éminent maître, n’a point une portée générale ; elle n’est pas vraie de tous les joueurs ; et si l’on veut se rendre un compte exact de leur façon de procéder, il faut établir entre eux plusieurs catégories.
La première catégorie comprend des joueurs, en général simples amateurs, dont les explications sont conformes à celles de M. Taine. Ces joueurs nous apprennent qu’ils se représentent l’échiquier exactement comme s’ils le voyaient, avec tous ses détails ; souvent, avant de commencer la partie, ils regardent avec attention l’échiquier et les pièces ; ils retiennent de la sorte une véritable photographie mentale dans laquelle l’échiquier apparaît nettement avec ses cases blanches et noires, et toutes les pièces se présentent avec leur couleur et leur forme caractéristiques. Quelques joueurs qui usent de ce procédé se représentent l’échiquier particulier dont ils se servent habituellement ; s’ils emploient des figures du type Régence ou du type Staunton, ce sont ces figures qu’ils retrouvent dans leur imagination ; bien plus, ils peuvent porter à ce point l’individualisation de leur image mentale qu’ils perçoivent jusqu’aux particularités, aux défauts et aux ébréchures de leur jeu. M. Place, un amateur, se représente constamment un petit damier de voyage avec sa charnière. Un général russe, M. Schabelsky, qui est devenu aveugle depuis quelques années et joue