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que possible et à une rapide mobilisation en cas de guerre ; 3° une instruction intellectuelle et technique des corps de troupe, aussi complète que possible dans le moins de temps et avec le moins de dépenses possible.

Ainsi, peu de soldats en temps de paix, un service léger et court, de très nombreuses réserves, formant le noyau de l’armée, tel serait le régime militaire préféré. Telle est, par excellence, la conception allemande de l’armée : non pas seulement sud-allemande, mais allemande.

La nation armée, le Nord la veut comme le Sud, et la Prusse comme la Haute-Allemagne, avec cette différence toutefois que la Prusse voit l’armée d’abord, la nation ensuite, et que le reste de l’Allemagne songe d’abord à la nation et ensuite à l’armée. Le Nord entend par là tous les hommes valides au régiment, et le Sud tous les citoyens exercés comme une sorte de garde nationale. Peu importe à la Prusse ce que coûtera la force, tant qu’elle trouvera de la force à développer ; il importe beaucoup à l’Allemagne. Elle conserve la tradition d’un temps où, à bien moins de frais, on pouvait vivre heureux et respecté. Alors l’Allemagne, elle le sait, n’était pas l’empire des Hohenzollern, mais elle était quand même l’empire. C’était le temps où l’on pouvait dire de l’empereur Maximilien Ier : « En trois choses où les autres princes sont obligés de dépenser, lui ne dépense pas un sou, parce qu’il n’entretient pas de gens d’armes, ne paie pas de gardes de forteresses, ni d’officiers dans les terres : les gentilshommes s’entretiennent armés à sa place ; les forteresses, le pays les garde, et les terres ont leurs bourgmestres qui les administrent[1]. » Et malgré elle, bien que les siècles et les destinées aient marché, l’Allemagne, sous l’hégémonie de la Prusse, continue, dans le fond de son âme, à concevoir la nation armée, à la concevoir comme autrefois.

Toute cette tradition revit, avec d’autres souvenirs, dans un mot échappé naguère à M. Windthorst : « Je ne crois pas bon, en face de l’étranger, de discuter sur des relations internationales. Mais jadis un tel armement, ce militarisme n’était pas nécessaire. » M. Windthorst, « le cœur saignant, » finissait par voter le crédit. Mais vainement le chancelier adresserait des remontrances au Reichstag : « Il serait déplorable que nous eussions entre nous un conflit pour une question d’armement national. » Ni lui, ni personne n’empêchera rien. Le conflit est fatal, et sur cette question même, entre l’esprit allemand du Nord et l’esprit allemand du Sud.

D’ici à très longtemps, encore on traitera, on transigera ; on voudra

  1. Machiavel, Ritratti delle cose della Magna.