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chérifienne faisait écrire à Londres qu’elle était loin de se croire en guerre avec les Anglais, et que, pour le prouver, elle allait leur faire restituer les deux navires indûment capturés, ainsi que leurs équipages. Puis elle ajoutait qu’il était malheureux pour l’Angleterre d’être représentée par un « fou ; » qu’elle consentait volontiers à lui rendre cet « infortuné » dans l’espoir que, par un meilleur choix, une réelle harmonie s’établirait entre les deux peuples.

Certainement que l’honorable sir Evan Smith, l’ambassadeur de la Grande-Bretagne, qui vient de faire buisson creux à Fez, n’est pas plus fou que ne l’était M. Douglas ; mais il est bon dès à présent que l’on sache la façon impertinente dont les sultans de ces régions prennent parfois plaisir à éconduire ceux des représentans des puissances qui leur déplaisent.

Le nouvel ambassadeur d’Angleterre au Maroc, sir West Ridgeway, a cru devoir, avant de rejoindre son poste à Tanger, s’arrêter à Madrid pour y présenter ses hommages à la reine régente, et s’entretenir avec les ministres espagnols de l’objet de sa mission. Cette attention à l’égard d’un gouvernement dont il y a peu d’années l’Angleterre suspendait brutalement la marche victorieuse sur Tétuan, est d’une politique habile ; elle a peut-être le désavantage de l’être trop. Les Anglais n’ont jamais été obséquieux vis-à-vis des peuples qu’ils considèrent comme leurs inférieurs et dont ils n’ont rien à espérer. Est-ce que jamais aussi, ils s’occupent du droit des nationalités avec lesquelles ils se trouvent en contact, du moment qu’il s’agit de leur enlever quelque avantage matériel ? Et quelle souplesse ! En ce moment, aux prises avec les Dacoïts de la Birmanie, qui sont pour eux ce que les Pavillons-Noirs sont pour nous au Tonkin, ils songent à envoyer au Fils du Ciel des présens pour que les « Braves » ne passent plus les frontières birmanes journellement violées. Ce faisant, ils commettront la maladresse de reconnaître au Céleste-Empire des droits de suzeraineté en quelque sorte préhistoriques sur l’Indo-Chine, sur l’Annam, le Tonkin, sans en excepter la Birmanie. On va jubiler à Pékin devant cet inutile abaissement, car c’est par des hommages semblables à ceux que les Anglais vont lui rendre que les royaumes d’Asie témoignaient jadis de leur vassalité.

Quant à la visite de sir West Ridgeway à la cour de Madrid, tout porte à croire qu’elle sera sans effet sur une nation aussi fière que l’est l’Espagne ; celle-ci eût-elle oublié le passé, — ce qui est impossible, — que le présent, c’est-à-dire l’occupation sans fin de l’Egypte par les soldats de la Grande-Bretagne, lui servirait encore d’enseignement. Actuellement, l’ambassadeur anglais est à Tanger, à son poste d’observation, et il est permis de supposer qu’il y