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attend avec une patience toute féline que la proie à saisir se découvre. Pour atteindre le but qu’elle vise, l’Angleterre emploiera-t-elle la force ? Un ultimatum fort sec envoyé cette année au sultan par le consul anglais de Tanger, — ultimatum auquel il devait être répondu de Fez dans un délai de vingt-quatre heures, — indique assez qu’elle y aura recours. Comme en Chine, aux Indes, et plus récemment comme à Alexandrie, elle saura faire naître une querelle d’Allemand, servant d’excuse à un bombardement précurseur d’une descente à terre de ses Royal-Marines. Le souvenir d’une escadre anglaise ouvrant le feu de ses puissans cuirassés sur une ville d’Egypte que son passé illustre devait préserver d’un tel sacrilège ne s’effacera point de sitôt. L’histoire vengera l’antique cité d’Alexandre, en unissant, au nom du barbare qui brûla sa bibliothèque, ceux des ministres de la Grande-Bretagne qui, sans nécessité, sans péril, sans gloire, la criblèrent d’obus et incendièrent ses monumens.

À ceux qui ne croiraient pas aux visées que nous attribuons à l’Angleterre sur le Maroc, nous dirons de méditer les lignes suivantes extraites du discours que lord Rosebery a prononcé à Londres, le 2 mars de cette année, à l’occasion du vingt-cinquième anniversaire de la fondation de l’Institut colonial : « Deux écoles appréhendent l’accroissement de l’empire britannique : l’une se recrute à l’étranger ; elle est composée de ces nations qui, s’étant mises tard en campagne, ont le chagrin de constater que la Grande-Bretagne possède quelques-uns des meilleurs morceaux qu’il y eût à prendre. À cette école-là, je rappellerai que, si nos colonies sont riches, c’est en partie parce que nous les avons faites telles. Tous les pays qui après avoir été occupés, puis quittés par d’autres puissances, ont été ensuite cultivés et enrichis par nous, nous avons à leur possession des titres indisputables. L’autre école, dont les représentans sont dans le sein même du peuple britannique, est d’avis que notre empire est assez grand comme il est. Ce serait bel et bon si le monde était élastique, mais comme il ne l’est pas, ce nous est une nécessité de travailler pour l’avenir…

« Mettons la question de responsabilité impériale en dehors et au-dessus des partis, et faisons notre possible pour que le monde, dans la mesure où il peut être modelé par nous, porte l’empreinte anglo-saxonne et non une autre… »


II.

Les naïfs qui caressent l’utopie d’une fraternité universelle et d’un embrassement général n’ont qu’à franchir le tout petit bras