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Page:Revue des Deux Mondes - 1893 - tome 118.djvu/153

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lorsque notre baronne accompagne à Paris le comte et la comtesse du Nord, sa chère princesse Dorothée, lorsqu’aussi ils viennent surprendre leurs parens à Montbéliard ! Que de fêtes pour les recevoir, promenades, courses, musiques, bals dans la forêt située près du pont de Sochaux, et jusqu’à des proverbes comme à Paris ! Sans parler de l’ineffable Mme Hendel, la première femme de charge du château, qui ne parlait d’elle-même qu’en disant : on a fait cela, on a été en tel endroit, et qui s’habillait d’une robe de gourgoran couleur de flamme et si flamboyante que le grand-duc lui demanda si ce n’était point un costume d’autodafé ; elle répondit qu’elle ne comprenait pas le latin, mais que c’était sa robe de noce, réservée aux occasions les plus solennelles. Elle avait acheté la carte de Russie et la contemplait avec extase : elle sera maîtresse de tout cela, s’écriait-elle en montrant du doigt le vaste empire. Est-il besoin d’ajouter que le personnel du château était nombreux, et les titres aussi sonores, aussi pompeux que ceux des grandes cours ? Ajoutez-y un petit corps de dragons pour la garde du prince, toute la noblesse des environs, les notables de Montbéliard reçus avec empressement, admis aux fêtes, chasses, réceptions de tout genre, et formant en quelque sorte un supplément de cour.

Dévasté au XVIIe siècle par les Suédois et les Impériaux, devenu par la conquête de l’Alsace et de la Comté une enclave de la France qui l’occupa à plusieurs reprises, le comté de Montbéliard appartenait moralement et physiquement à celle-ci, et son annexion semblait une conséquence logique de sa situation, un simple retour à la patrie d’origine. Les habitans ne pouvaient guère goûter la monarchie absolue qui leur rappelait les tentatives violentes de Louis XIV pour imposer le culte catholique ; mais arrive la révolution qui ne distingue plus entre les confessions, ne connaît que des citoyens, détruit les droits féodaux, brise les barrières religieuses, industrielles et commerciales ; les cœurs allaient à elle avec élan, réclamant justice et réparation. Le traité de 1748 avait attribué au roi de France la suzeraineté des quatre terres ; d’après la loi de 1790, les villages des seigneuries d’Héricourt et Blamont formèrent deux cantons, ceux des terres du Châtelot et de Clémont furent incorporés aux cantons de l’Isle-sur-le-Doubs, Pont-de-Roide, Saint-Hippolyte. En 1792, presque au même moment où l’un des plus illustres enfans de Montbéliard, Cuvier, publiait son premier mémoire, le duc Frédéric-Eugène sentit qu’il ne pouvait plus faire face aux événemens et se retira dans le Wurtemberg, auprès du duc régnant, laissant l’administration du pays au conseil de régence qui était à la fois cour de justice, consistoire supérieur, assemblée administrative ; de toutes parts les habitans se