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soulevaient, et la moitié du village voisin de Mandeure, fief de l’archevêché de Besançon, s’était constituée en république, avec cette modeste devise : Aquila non capit muscas (l’aigle ne prend pas les mouches) ; devise qui ne le préserva nullement des serres de l’aigle. Le 1er septembre 1792, trois ou quatre mille gardes nationaux de Beffort et d’Héricourt occupent Montbéliard sans coup férir, et se retirent le lendemain même ; seconde prise de possession en avril par le général Després-Crassier. Enfin, en octobre 1793, le conventionnel Bernard de Saintes entre dans la ville, à la tête d’un bataillon du district de Dole, cent hommes de cavalerie et d’artillerie légère qui traînaient quelques pièces de canon ; et, sans attendre les ordres de la Convention, il prononce la réunion du comté à la France. Aucune résistance, seulement lorsqu’une députation du magistrat lui présenta les clés de la ville, Bernard ayant dit : je vous apporte la liberté ! — Nous la connaissions de longue date, répliqua le maître bourgeois en chef, Jacques Ferrand ; elle a été l’un des bienfaits de nos princes ; nous n’avons d’expressions que pour les bénir[1]. À cette hardiesse inattendue, le conventionnel éclata en menaces. « Pas un mot de plus ! J’ai des canons tout près d’ici ! » Il aurait pu observer que la liberté des habitans de Montbéliard était civile, nullement politique, qu’en tout cas le peuple des campagnes n’avait eu ni l’une ni l’autre. Remplacement arbitraire de toutes les autorités constituées, imposition de deux cent mille livres à la ville de Montbéliard, de deux cent cinquante mille livres aux riches des campagnes, « car il est juste de saigner les nouveaux conquis, » sociétés populaires affiliées aux clubs de Paris, mainmise sur toutes les caisses, sur les immeubles et capitaux appartenant au culte protestant, confiscation des vases sacrés en or et en argent, « afin de défanatiser le peuple, » ordre d’abattre toutes les armoiries et de leur substituer le bonnet phrygien, de brûler les titres féodaux, tombes du château violées, converties en canons ainsi que trois grosses cloches et la batterie de cuisine, corps des comtes jetés à la voirie, la liberté sans doute se présentait sous des formes acerbes. Même la guillotine fut installée sur la place Saint-Martin, mais Bernard de Saintes ne fit tomber aucune tête, et l’on se

  1. Armand Lods, un Conventionnel en mission, Bernard de Saintes. — Tuetey, Essai sur le droit municipal en Franche-Comté. — Tuefferd, Essai sur l’administration gouvernementale du comté de Montbéliard et des quatre seigneuries. — Charles Roy, Notice historique sur le pays de Montbéliard à l’époque de la Révolution française. — Recherches historiques sur Mandeure, par l’abbé Bouchey. — Montbéliard fut définitivement réuni à la France par le traité de Paris signé le 7 août 1796.