et des mourans se presse une nouvelle pléiade : la révolution, l’empire ont besoin de capitaines ‘[1], ils trésiront, ils sortiront en foule des campagnes comtoises : Rouget de l’Isle, l’auteur de la Marseillaise, ce chant qui a des moustaches, comme on disait alors ; — Pichegru, Moncey, Lecourbe, le général Malet dont le « Vous, si j’avais réussi ! » contient toute une philosophie politique ; le colonel Oudet, un autre républicain, qui, la veille de Marengo, va droit au premier consul et lui dit : « Je veux m’assurer par mes yeux que tu es en effet ce Bonaparte avec lequel nous avons conquis l’Italie, et non un imposteur paré de son nom pour opprimer la république et assassiner la liberté ; » à côté des hommes d’action, les savans, les hommes du droit : Proudhon le jurisconsulte, Bichat, Cuvier.
Comprimé par l’absolutisme monarchique, l’esprit comtois aura plus d’une fois ses explosions : sous les formules de respect et d’obéissance envers le seigneur-roi, on sent frémir le vieil esprit d’indépendance et comme une revendication tacite des libertés perdues. Le parlement proteste contre les nouveaux impôts, s’associe de plein cœur à la lutte du parlement de Paris contre Maupeou ; les lettres de cachet pleuvent, l’exil refait aux magistrats une popularité, et, noëls, épigrammes, chansons[2] font rage contre leurs remplaçans. Insensible aux avantages des réformes du chancelier, oubliant la vénalité des charges, les épices, et cet exclusivisme étroit qui, le lendemain de l’édit en faveur des protestans, fera dire à d’Espréménil montrant un crucifix : « Voulez-vous donc le crucifier une seconde fois ? » le peuple ne voulait voir dans les anciens parlemens que les adversaires du despotisme ; et quand les exilés rentrèrent à Besançon, ils furent fêtés comme s’ils eussent sauvé la patrie.
En 1783, en 1788, le parlement réclame avec véhémence les États de Comté et les États-Généraux, proteste contre les assemblées provinciales et les édits de Brienne : nouvelles lettres de cachet, exil en masse, suspension de quatre mois, nouveau retour triomphal. Peu après l’incorruptible gardien des franchises comtoises, le libérateur de la province n’est plus qu’un traître à la patrie, et il a suffi pour cela d’un malencontreux arrêt pour le maintien des ordres, contre la représentation double du tiers. C’est un défi porté à l’opinion publique, à la prudence élémentaire, au bon sens, et cet arrêt sonne son glas ; l’émeute éclate, les maisons du conseiller Bourgon, du président Talbert, sont pillées, avec la
- ↑ Désiré Monnier, les Jurassiens recommandables.
- ↑ Estignard, le Parlement de Franche-Comté, 2 volumes. — Ed. Besson, Louis de Narbonne à Besançon. — Poignand, Étude sur le parlement de Besançon. — L. Pingaud, le Président de Veset. — E. Besson, un Criminaliste comtois au XVIIIe siècle, Muzart de Vouglans.