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Page:Revue des Deux Mondes - 1893 - tome 118.djvu/214

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et Paschka remarqua qu’elle fit une mine comme si elle avait grand chagrin.

— Déshabille-le, dit le docteur.

Paschka se mit à défaire le nœud du mouchoir qu’il portait autour du cou, puis moucha son petit nez dans sa manche et commença, sans trop se presser, à ôter sa petite pelisse de peau de brebis.

— Eh bien ! la commère, tu n’es pas venue ici en visite de politesse, gronda le docteur. Dépêche-toi, il y en a d’autres qui attendent !

Vite Paschka fit tomber sa pelisse par terre et sa mère lui enleva sa chemise. Le docteur considéra d’un coup d’œil son petit corps tout nu et lui tapa sur le ventre.

— En voilà une petite bedaine importante, frère Paschka ! dit-il. Voyons le coude.

Paschka jeta un regard oblique sur l’eau rougie de la cuvette, puis sur le tablier du docteur, et se mit à pleurer.

— Méeee-mé, gémit le docteur en le contrefaisant. — Comment, voilà un gaillard qu’on devrait penser à marier et il ose pleurnicher encore !

Paschka regarda sa mère, comme pour lui dire : — Ne raconte pas au village que j’ai pleuré à l’hôpital. — Le docteur prit son coude, le pressa, claqua de la langue, le pressa encore et dit :

— Tu mériterais une bonne volée de coups, la commère. Si jamais quelqu’un les mérita, c’est toi ! Pourquoi ne me l’as-tu pas amené plus tôt ? Sa main est perdue, — regarde donc, pauvre bête, la jointure est attaquée.

— Ça doit être, petit père, comme vous dites. Vous en savez plus long que moi, dit la femme.

— Vous en savez plus long que moi ! répéta le docteur, irrité. Puisque tu en es sûre, pourquoi ne l’as-tu pas amené ? Je te dis que sa main est perdue, il ne pourra pas travailler. Tu devras le soigner toute ta vie et ce ne sera que juste ! C’est toi qui as perdu sa main ! Vous êtes tous comme cela,.. des animaux ! Que le diable vous emporte !

Il alluma une cigarette, et, tout en fumant, continua de gronder la femme, qui écoutait tranquille. Paschka, debout et nu, suivait des yeux les spirales de la fumée.

Enfin le docteur jeta la cigarette et dit sur un autre ton : — Voilà ! Des gouttes et des onctions n’ont rien à faire ici. Il faut le laisser à l’hôpital.

— Si vous le jugez nécessaire, petit père, pourquoi ne le laisserais-je pas ?

— Nous tenterons une opération ! — Le docteur tapa sur l’épaule de Paschka et dit : — Laisse ta mère retourner seule au village,