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— Mâma ! soupira-t-il.

Sa propre voix l’effraya. Elle lui semblait inconnue. Fou de terreur, il sauta hors du lit et courut vers la chambre voisine. Là, les malades, éveillés par la mort de Michaïl, se tenaient tous sur leur séant et, à la clarté des veilleuses, Paschka crut remarquer qu’ils devenaient de plus en plus grands. Dans son lit, du coin où devant la sainte icône brûlait la petite lampe rouge, le paysan maigre se berçait encore, toujours avec le même mouvement rythmique.

Alors Paschka, perdant la tête, se jeta dans la salle des varioleux, de là dans le corridor, puis ouvrit la première porte qui se présentait à lui, tomba dans la salle des femmes et fut épouvanté par la vue de quelques vieux et horribles visages, aux longs cheveux en désordre.

Il rebroussa chemin, vola le long des corridors, descendit l’escalier et, se trouvant dans l’antichambre, qu’il reconnaissait, il tira les verrous de la porte avec ses petites mains crispées.

La porte s’ouvrit si fort que Paschka en faillit choir ; mais il ne fit que chanceler et se mit à courir, à courir.

Il ne savait pas le chemin de la maison, mais il croyait que, s’il courait fort, bien fort, il arriverait au village et auprès de sa mère.

La nuit était sombre ; cependant un faible clair de lune lui fit voir une grande cour. Il la traversa et fut arrêté par des arbustes ; alors il réfléchit une seconde, se précipita du côté gauche, et aperçut, à travers une palissade, de longues rangées de croix blanches…

Son petit cœur n’en pouvait plus d’angoisse : — Màmka ! cria-t-il de toutes ses forces. — Et il courut éperdument dans une autre direction.

Il tomba dans la boue, se releva tout de suite et continua de fuir. Comme il vit de loin une fenêtre éclairée, il s’y dirigea, ne sachant pourquoi, car, au fond, cette fenêtre si brillante dans cette nuit si sombre lui faisait peur. Lorsqu’il l’atteignit, il vit qu’à côté de la fenêtre des marches en pierre conduisaient vers une porte ; il les gravit, se dressa sur la pointe de ses pieds et ne se sentit pas de joie en apercevant la figure connue du docteur, qui, assis devant une table, lisait un livre.

Paschka riait de bonheur ; il tendit ses bras vers l’ami, voulut crier, l’appeler, mais une force invisible lui coupa la respiration et le projeta sur les marches de l’escalier, où il tomba sans connaissance.

Lorsqu’il s’éveilla, il faisait déjà jour et, près de lui, une voix familière évoquait toute la série des bonheurs promis : — foire, pain d’épice, renard vivant. — Cette voix lui répétait :

— Imbécile de Paschka, n’est-ce pas que tu es un imbécile, dis ?


Antoine Tchekof.
Traduit du russe par J. Tverdianski.