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Page:Revue des Deux Mondes - 1893 - tome 118.djvu/570

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établis à Rome, venant visiter leurs terres et évitant d’y coucher pendant la mauvaise saison, 15 pour 100. Il a bien fallu, en effet, que la municipalité établît des stations sanitaires de distance en distance. On soigne les fiévreux sur place. Seulement les médecins chargés de ce service sur vingt ou vingt-cinq domaines doivent nécessairement perdre un temps précieux pour leurs cliens, en se rendant de l’un chez l’autre. Quelques personnes regrettent l’ancien système. J’ignore s’il était meilleur. Il consistait à diriger tous les malades sur Rome, où ils étaient admis à l’hôpital San-Spirito. Du temps des papes, tout homme qui amenait un fiévreux recevait une prime de deux francs, et il paraît que, la charité s’en mêlant, peu de pauvres gens restaient à l’abandon. D’autres moyens, préventifs ceux-là, sont pris par la compagnie de chemin de ter qui exploite la ligne. Les employés, jusqu’à Grosseto, en Toscane, ne font, pendant l’été que vingt-quatre heures de service dans la campagne, et rentrent pour passer la journée du lendemain à Rome.

Un tel état de choses devait attirer l’attention des auteurs du projet pour l’amélioration de l’Agro. Ils ont hésité entre deux projets : combler les salines avec des terres rapportées, ou bien les épuiser à l’aide de pompes à vapeur. Cette dernière idée a prévalu, et je vais voir de près ce qu’elle a produit.

Je quitte Rome d’assez bonne heure, le matin, avec le fils d’un ancien ambassadeur de France à Rome et le prince Camille Rospigliosi, frère cadet de don Giuseppe qui nous attend là-bas. Tous deux ont été zouaves pontificaux. L’aîné, qui est brun, appartient au monde blanc ; le second, qui est blond, appartient au monde noir. Ils sont propriétaii es par indivis de la tenuta de Maccarese, possédée par leur famille depuis 1675, l’administrent eux-mêmes pour une grande partie, s’entendent fort bien, et sont des types accomplis de patriciens romains, en relations d’alliances et d’amitiés avec l’aristocratie européenne, parlant français, d’allure moderne, et de parfaite courtoisie. La ligne que nous suivons, celle de Civita-Vecchia, passe pour féconde en déraillemens. Il paraît que les levées fondent sous les pluies et l’action des eaux invisibles. Le fait est qu’en traversant le pont sur le Tibre, l’allure prodigieusement lente du train ouvre l’esprit à de vagues appréhensions. Rien de fâcheux cependant. Nous laissons à gauche la forêt d’eucalyptus de la célèbre abbaye des Trois-Fontaines, qui n’a pu, à elle seule, assainir la contrée, et préserve médiocrement ses propres habitans. L’aspect de la campagne, de ce côté, est d’une immense tristesse : des pâturages marécageux, à perte de vue, que tachent de vert sombre, çà et