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Page:Revue des Deux Mondes - 1893 - tome 118.djvu/819

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qui n’a pas seulement de quoi mettre un loup en faction sur ses terres ! L’hôpital, l’église et la prison, voilà ses trois maisons ! On lui ferait croire que les lièvres pondent sur les saules ! Si toutes les bêtes étaient attachées, les liens seraient trop chers ! C’est la cloche de Batterans, qui ne la voit l’entend (d’une femme criarde) ! Il coûterait moins de le saler que de l’enterrer (d’un débauché) ! Il n’est qu’écrit (d’un enfant chétif) ! Il a la maladie du putois qui mangerait bien une poule (d’un paresseux) ! » — Des mots soudains, pris pour ainsi dire dans les entrailles du sujet, qui font balle dans la pensée et s’incrustent profondément. Croyant le juge de paix prévenu contre lui, B… quitte brusquement la salle d’audience en s’écriant : « Je vois d’un côté le juge, de l’autre la justice, je m’en vais. » Et depuis ce temps il ne manquait pas de dire des plaideurs : « Ils s’en vont en injustice ! » — Un d’Authoison revient d’une conférence, on lui demande son avis sur l’orateur : « Il a le cerveau gras, » répond-il d’un air capable. Un de mes amis amène sa fille chez un cultivateur de Mailleroncourt qui l’avait invité à la fête ; le père de celui-ci la contemple longuement et adresse ce compliment à mon ami : « Vous l’auriez fait faire en cire qu’elle ne serait pas plus jolie[1]. »

Au reste, lorsque son intérêt personnel n’est point en jeu, notre homme se montre partisan des solutions tempérées, de la moyenne. Il y a quelques années encore, il s’emballait terriblement dans les luttes politiques, chaque village avait ses blancs et ses bleus, qu’on décorait aussi du nom de leurs candidats, et querelles, injures, horions, condamnations pleuvaient comme grêle. Aujourd’hui la lassitude est visible, et, parmi les vaincus, les plus courageux gardent leurs opinions, mais rentrent sous la tente et se contentent de voter ; les autres jurent avec celui qui jure, chantent la chanson de ceux qui ont le bras long. Chacun réserve son ardeur pour les élections municipales où les questions de personnes dominent les principes, car, quoi qu’on fasse, le peuple se passionnera toujours pour des individus, ne comprendra les abstractions qu’à travers des êtres en chair et en os.

    tons de Villers, Pouilleux d’Équevilley, Bourgeois de Faverney, Chiffonniers de Breuches, Bouchers de Meurcourt, Bourriquets de Breurey, Plumotes d’Ehuns, Glorieux de la Villedieu, Avocats de Velorçay, etc. Dans mon village, il y a toute une hiérarchie de fonctionnaires civils et militaires : le général, le préfet, le capitaine, l’artilleur ;… et puis le Crocheteur, le Grand Nez, le Calonnier, etc.

  1. J’ai entendu ce dialogue entre deux adversaires politiques : « Voilà une vache que j’ai payée 85 francs, et elle me donne quatre terrines de lait ; » celui à qui je l’ai achetée peut crier : « Vive la république ! » — Ouais, fit l’interlocuteur, tu auras d’elle deux veaux, tu la revendras 250 francs, et tu pourras, toi, crier pour de bon : « Vive la république ! » — Et ce dernier prophétisait vrai.