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Page:Revue des Deux Mondes - 1893 - tome 118.djvu/855

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On ne peut attribuer cette baisse, d’autant plus significative qu’alors tout en général renchérit, qu’à l’extension immense prise en ce temps-là par les « accensemens, » qui accompagnaient presque toujours les affranchissemens de serfs. Du coup l’équilibre ancien fut rompu ; toute la terre française entra en branle. Elle fut mobilisée, morcelée, déchiquetée. En eut qui voulut, à condition d’avoir une charrue et un bras solide pour la conduire. Du côté des possesseurs fonciers ce fut une panique : il ne s’agissait plus pour les seigneurs, laïques ou clercs, de discuter le plus ou moins d’avantages de la culture par serfs ou par tenanciers libres, du faire-valoir direct ou de la vente à cens. Il fallait suivre le mouvement ambiant, sous peine de ruine : quand le voisin avait affranchi l’homme et accensé la terre, il fallait, bon gré mal gré, affranchir et accenser à son tour ; sinon le serf, une belle nuit, déguerpissait, et n’avait que l’embarras du choix pour trouver à exploiter un sol à sa convenance.


II.

Cette première baisse de la terre fut donc l’indice d’un réel progrès, le résultat d’un large avènement des classes laborieuses à la propriété, qu’elles acquéraient déjà, quoique plus lentement, depuis trois quarts de siècle. Une autre preuve que cette baisse de la terre tenait, — entre 1326 et 1350, — à des causes purement économiques, et non aux causes politiques qui la précipitèrent plus tard, c’est que la propriété rurale fut seule alors à s’en ressentir ; les maisons continuèrent d’augmenter de prix, aussi bien à Paris que dans les campagnes, tandis que le krach foncier allait les atteindre fortement à la fin du siècle.

Au moment où l’invasion étrangère se complique d’anarchie nationale, la moyenne de l’hectare de terre est tombée de 108 francs à 83 francs (1351-1375), c’est-à-dire au tiers de ce qu’elle était cinquante ans auparavant. Alors c’est bien la misère qui cause cet effondrement, toutes les misères réunies qui vont peser cent ans durant sur notre malheureuse patrie, et la laisseront si dévastée, si épuisée d’hommes et d’argent que l’hectare de terre n’atteindra plus le modeste chiffre de 100 francs jusqu’au règne de François Ier : de 1376 à 1400 la moyenne se relève à 95 francs, — on avait quelque peu respiré sous Charles V et pendant les premières années de Charles VI, — mais pour retomber à 89 francs (1401-1425), puis à 68 francs (1426-1450) à la fin des guerres anglaises, et enfin à 48 francs (1451-1475), taux le plus bas auquel elle soit descendue pendant six cents ans.