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aussi gardée par la cohorte ; j’attendais son retour, quand je vis entrer dans le greffe M. Saulnier, secrétaire-général du ministre de la police, et l’adjudant de place Laborde. Ils me dirent que tout était terminé, que le général Malet et Lahorie étaient arrêtés, qu’ils n’avaient pas perdu une minute pour venir me délivrer, ainsi que le duc de Rovigo.

Nous sortîmes ensemble : le duc de Rovigo monta avec moi dans la voiture de M. Saulnier, qui nous conduisit à l’hôtel du ministère. Je n’ai donc guère passé plus d’un quart d’heure à la Force. Je n’ai pas quitté le greffe ; mais la scène avait cependant été rude ; je ne prétends pas nier que mon émotion n’ait été vive, que je n’aie pas passé ce qu’on appelle un mauvais quart d’heure. C’est ici le lieu de dire que dans le trajet de la préfecture à la Force je n’avais aperçu sur la route aucun mouvement, aucun rassemblement. Toute la ville paraissait dans l’ignorance la plus profonde de ce qui se passait. Quelques habitans du quartier qui me reconnurent dans le cabriolet, entouré de mon escorte, s’arrêtèrent avec les marques du plus grand étonnement. Le ministre de la police avait été encore moins remarqué. Il n’y a donc rien de plus mensonger que les assertions contenues dans l’écrit de M. Lafou sur l’indignation qui éclata, dit-il, contre nous, au moment où on nous emmenait, sur les menaces de jeter le ministre dans la rivière. À notre retour, nous trouvâmes un assez grand nombre de personnes assemblées sur la place de Grève ; il y en avait beaucoup plus sur le Pont-Neuf, sur les quais, en face du ministère de la police et de la préfecture de police ; déjà on savait l’arrestation du général Malet, on s’entretenait par conséquent de son entreprise comme d’une odieuse folie.

Voici maintenant ce qui avait précipité le dénoûment.

Malet, arrivé à la place Vendôme, s’était porté au logement du général Hulin, commandant la division. Laissant son escorte à la porte, il était monté à l’appartement du général, accompagné de deux ou trois officiers ou sous-officiers. Il avait annoncé au général la mort de l’empereur ; mais ayant remarqué peu de crédulité sur sa figure, il l’avait engagé à passer dans un cabinet voisin pour prendre lecture des pièces qu’il allait lui communiquer. Aussitôt entré dans le cabinet, pendant que le général Hulin jetait les yeux sur le sénatus-consulte, Malet lui tira dans la tête un coup de pistolet qui lui fit perdre connaissance. Ce crime consommé, le général Malet se hâta de reprendre le commandement de sa troupe, dont une partie s’était emparée de la porte de l’état-major, situé à l’extrémité de la place ; mais de là on avait pu voir un mouvement anormal chez le général Hulin, et on était sur ses gardes.