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niait la transmutation, était grand-vizir et riche ; tandis qu’El-Farabi, qui y croyait, était misérable et mourait de faim. À mesure que les expériences se multipliaient, la transmutation semblait plus difficile et plus incertaine. Déjà on commençait à donner la liste des philosophes qui l’avaient accomplie autrefois. « Tous ceux qui sont venus après eux, dit le Kitab-al-Fihrist, ont vu leurs efforts impuissans. » C’est ainsi que l’efficacité des oracles, dans le monde grec, et la réalité des miracles, dans le monde moderne, ont été rejetées de plus en plus dans le passé.

Tel est le résumé de l’histoire des alchimistes arabes, jusqu’au temps des croisades, époque où les Latins eurent connaissance de leurs travaux, par l’Espagne principalement. Les musulmans n’ont pas cessé depuis d’écrire sur ce sujet. De nos jours même, il existe chez eux des ouvrages d’alchimie moderne, au Maroc et ailleurs : ouvrages tenus secrets par leurs propriétaires, qui prétendent s’assurer le monopole de recettes chimériques ; les rêves du moyen âge durent encore dans les pays musulmans, demeurés étrangers aux progrès de la science européenne.


II. — LES ALCHIMISTES ARABES : LEURS DOCTRINES.

Le moment est venu d’examiner les ouvrages de la chimie arabe, publiés d’après les manuscrits authentiques des bibliothèques de Paris, de Leyde et de Londres, afin de donner une idée des connaissances réelles de leurs auteurs. Ces ouvrages se partagent, ainsi que je l’ai dit, en deux catégories : les Traités pratiques, dont je citerai un type, remontant vers le xiie siècle ; et les Traités théoriques, contenus dans les manuscrits de Paris et de Leyde. Commençons par ces derniers.

On y rencontre d’abord quelques livres imprégnés de souvenirs gréco-égyptiens, tels que le Livre de Cratès, peut-être dérivé d’un original grec et le seul qui transcrive quelques signes alchimiques ; le Livre d’El-Habib et le Livre d’Ostanès, tout rempli d’allégories et de citations caractéristiques, mais auquel il serait superflu de nous arrêter.

Les Traités de Geber, qui occupent une centaine de pages in-4o, méritent une attention plus particulière, sinon par leur valeur propre, du moins par la réputation de l’auteur et le jugement qu’ils permettent de porter sur lui. Ils sont compris, d’ailleurs, dans les listes du Kitab-al-Fihrist. D’après ces listes, qui occupent plusieurs pages, les œuvres de Geber étaient distribuées en séries, désignées par des indications numériques, telles que les