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— C’est pour l’honneur de sa maison que le pape le prépare ainsi aux dangers qui menacent Rome, disait-elle à Joachim.

Le ciel, en effet, s’était tout à coup assombri. Le pape, mal conseillé par sa passion contre Henri, encouragé par la complicité de la Saxe rebelle à l’empereur légitime, avait enfin reconnu Rodolphe de Souabe et déclaré, en synode solennel, le pénitent de Canossa déchu de la dignité impériale. Au moment même où Robert jurait de protéger le pontife et sa métropole, Henri IV, appuyé par les évêques de l’Italie du Nord, proclamait à Brixen l’archevêque de Ravenne pape de l’église universelle. Au mois d’octobre, sur les bords de l’EIster, en Saxe, il essuyait une dé- faite sanglante, mais son rival Rodolphe mourait de ses blessures, le lendemain de sa victoire, et Henri, afin d’étouffer en Italie même le schisme de l’empire et de confirmer à Rome le schisme de l’Église, passait les Alpes, avec les débris de son armée, aux environs de Pâques de l’année 1081. Il prenait à Pavie la couronne d’Italie, faisait adorer par un concile lombard son antipape Clément III, puis, battant en plusieurs rencontres les troupes de la comtesse Mathilde, il s’acheminait vers Rome et campait le 22 mai sur le champ de Néron, où couraient le rejoindre les barons de Tusculum, les prêtres apostats et les anciens cliens de l’antipape Honorius.

Autour de Grégoire VII, personne ne perdit courage. Cependant, Robert Guiscard laissait alors son nouveau suzerain dans un étrange embarras. Il venait de choisir cette heure menaçante pour commencer, en Orient, sur les côtes d’Albanie, un roman de chevalerie. Tandis qu’Henri assiégeait Rome, Robert s’occupait de Constantinople et détrônait l’empereur grec Alexis. Victorien, dès son retour, avait organisé une troupe de hardis mercenaires, normands et toscans, cantonnés, sous ses ordres, au Saint-Ange ; au Capitole, les milices romaines s’étaient formées ; le peuple, les moines et presque toute la noblesse tenaient pour le parti grégorien. Mais la fièvre s’étant abattue sur les impériaux, Henri retira ses troupes au bout de quarante jours d’un siège inoffensif, et se dirigea, avec son antipape, sur la Toscane, où il distribua aux villes soulevées contre Mathilde des diplômes de franchises communales.

Une fois le péril éloigné, Victorien accourut au Latran. Depuis son retour de Salerne, il n’avait plus entrevu Pia que de loin en loin, dans les églises où le pape officiait, entouré de ses principaux barons. La jeune fille achevait sa seizième année. Sa beauté radieuse éblouissait Joachim et lui inspirait une sorte de dévotion, tout en faisant le tourment secret de la vieille abbesse.