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Page:Revue des Deux Mondes - 1893 - tome 120.djvu/100

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(20 centimes) par semaine. Avec ce petit capital ils ouvrirent en 1844 un magasin dans la ruelle du Crapaud (Toad’s Lane), convenant de s’y approvisionner exclusivement, de ne faire crédit à personne, de se contenter d’un profit raisonnable et d’économiser ainsi sur les dépenses domestiques de chacun, À la fin de 1845, au lieu de 28, ils étaient 74 ; leur capital atteignait 4 500 francs, le montant de leurs recettes 17 750 francs, et leurs bénéfices 550 francs. Leur nombre et l’essor de leurs affaires s’accentuèrent rapidement. En 1850, ils étaient 600 ; leur capital montait à 57 000 francs, leurs affaires annuelles à 325 000 et leurs bénéfices à 25 000. La bonne gestion de leur entreprise et le prosélytisme firent qu’en 1856, douze ans après la fondation, ils possédaient 320 000 francs de capital, faisaient près de 4 millions et demi d’affaires avec un profit d’une centaine de mille francs. Chaque décade d’années marque depuis lors une brillante étape dans la voie du développement et de la prospérité. En 1877, les Pionniers étaient au nombre de 8 900 ; ils disposaient d’un capital de 6 millions et demi de francs, faisaient pour 7600 000 francs d’affaires et réalisaient 1275 000 francs de bénéfices. Cet accroissement continua encore, quoique dans de moindres proportions. En 1891, ils étaient 11 647, leur capital montait à 7 400 000 francs, et leurs profits à 1 305 000. M. Holyoake dit : « L’histoire n’offre aucun autre exemple d’un semblable triomphe de l’initiative individuelle. » L’expression trahit ici sa pensée ; l’historien de la coopération voulait dire, sans doute, ce qui est exact : l’histoire n’offre aucun autre exemple d’un semblable triomphe de l’initiative privée collective.

Comme l’indique le nom qu’ils avaient pris d’Équitables Pionniers, ces coopérateurs se proposaient un but plus élevé qu’un simple avantage sur leurs achats de denrées et qu’un profit rémunérateur pour leurs humbles capitaux. Ils voulaient élever leur niveau intellectuel et moral et celui de toute la classe ouvrière ; de là cette appellation de Pionniers et celle d’Équitables. Ils décidèrent ainsi d’employer 2 et demi p. 100 sur leurs profits annuels à l’éducation des ouvriers. Ce prélèvement, qui ne fut que de 13 fr. 75 en 1845, atteignit 32 600 francs en 1891.

Au cours de ces quarante-sept années, la Société avait singulièrement élargi et diversifié son fonctionnement. Elle avait créé un immense magasin central, plusieurs dizaines de locaux spéciaux ou dépôts de ventes ; elle avait ouvert une bibliothèque, un musée, des écoles ; elle avait joint à ses affaires primitives un grand moulin à blé coopératif : enfin elle construisit une filature coopérative. Mais ces dernières institutions se sont perverties en de simples sociétés anonymes. La participation même des ouvriers aux bénéfices y a été supprimée. « Vingt-cinq ans et plus se sont écoulés