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Page:Revue des Deux Mondes - 1893 - tome 120.djvu/114

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certainement, des obstacles insurmontables. C’est la même illusion que celle des collectivistes : tout leur système échoue platement au commerce international. À l’heure actuelle, le jeu souple et multiple du commerce libre, aux milliers de têtes, de combinaisons et de moyens divers, parvient sans peine, quand l’État n’institue pas de droits de douane prohibitifs, à établir et à régler les échanges entre un pays et tout le reste de l’univers. On ne voit pas comment une fédération de gigantesques sociétés coopératives, n’ayant d’autre appui que la statistique, toujours médiocrement certaine, pourrait suppléer ce commerce si indépendant, si diversifié, si spontané, si fécond en combinaisons, si multiple de vues et de conceptions, ce qui n’est pas un mal.

Dans notre ouvrage sur le Collectivisme, nous avons consacré un chapitre spécial à l’impraticabilité des relations internationales sous ce régime. Les remarques qui y figurent s’appliqueraient tout aussi bien ou presque aussi bien à un système omnipotent, nécessairement fédéralisé et centralisé, de vastes sociétés coopératives, ayant réussi à éliminer le commerce libre[1].

C’est que, comme l’a reconnu M. Gide lui-même, un réseau complet de sociétés coopératives finirait par ressembler fort au collectivisme et par en offrir presque tous les inconvéniens. Il n’est nullement à craindre que l’on en arrive là.

L’expérience prouve que la conception mystique des apôtres exaltés de la coopération n’a aucune chance de se réaliser. Les sociétés coopératives qui réussissent finissent presque toutes par se transformer en sociétés anonymes qui conservent à peine quelques traits distinctifs. Ces sociétés anonymes, d’origine nouvelle, auront sans doute des destinées diverses ; les unes continuant longtemps à prospérer, d’autres terminant une longue et glorieuse carrière par une lente décadence, aucune assurément n’ayant le privilège de la perpétuité.

En tout cas, au fur et à mesure qu’il se répand, s’étend et s’éloigne de son origine, le type coopératif perd de sa pureté.

Les critiques adressées dès maintenant aux sociétés coopératives les plus anciennes et les plus prospères, témoignent de l’exactitude de notre conception. On a vu les reproches que font les coopérateurs aux gigantesques associations des fonctionnaires et employés de l’Armée et de la Marine ou du service civil. L’Almanach de la Coopération en adresse de semblables à la grande Société coopérative de Breslau, la plus vaste du monde, dit-il,

  1. Voir notre Collectivisme, examen critique du nouveau socialisme, 3e édition, Guillaumin, 1893.