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En affichant cette prétention arrogante, Condé voulait répondre à une communication reçue par les ministres espagnols. De Lionne avait mis sous leurs yeux la « forme » de la lettre que M. le Prince devait adresser au roi pour implorer son pardon, et cette forme était des plus humbles. Notons encore que M. le Prince écrivait ces lignes presque au lendemain du secours de Valenciennes. Le retour de ses espérances ranimées par la victoire explique ce redoublement de hauteur et de méfiance envers la cour.

Si M. le Prince n’usait guère de ménagemens dans son discours, ni même la plume à la main, il était drapé de la belle façon dans les dépêches françaises. Avec un véritable luxe de détails et de redondances, de Lionne reproduit tout le mal qu’il a dit de M. le Prince, parfois (selon lui) avec l’assentiment plus ou moins tacite de son interlocuteur. Il sait que ces portraits outrés, ces jugemens plus que sévères rendront agréable la lecture des longs mémoires qu’il expédie. Le ton des dépêches, même les plus graves, les plus exactes, est souvent adapté au goût de qui doit les lire ; on fait ainsi passer bien des choses. Pour mettre toutes les pièces sous les yeux du lecteur, nous reproduisons un de ces crayons ; à côté de quelques traits d’une certaine ressemblance, quoique forcée, — la mobilité, la violence, — les insinuations calomnieuses ne manquent pas : tout ce qui est dit sur les rapports de M. le Prince avec ses amis est un tissu de contre-vérités : « Son Eminence, dis-je à don Louis, n’a nulle aigreur contre M. le Prince, et seroit autant ayse que jamais de le servir ; mais M. le Prince, par son humeur, se forme un grand obstacle à luy mesme ; il n’y a pas un de tous ceux qui le cognoissent, voire de ses plus particuliers amys qui sont aujourd’huy près de luy, qui ne sache (et qui ne l’ait esprouvé) qu’on ne peut jamais faire un fondement certain sur l’amitié du Prince ; il est bien vray de dire qu’au mesme temps qu’il la promet, il a une véritable intention de tenir sa parole et se croit mesme incapable d’y jamais manquer ; mais, quand sur l’establissement de cette amitié on luy auroit rendu cent services tout de suite et de la dernière importance, s’il arrive qu’on luy refuse une simple bagatelle de celles que son ambition luy suggère tous les jours (sa coustume et son naturel estant, dès qu’il a obtenu une grâce de la cour, de ne la compter plus pour rien et de prétendre d’abord à une autre plus grande), alors il n’est plus maistre luy mesme de ses mouvemens ny de ses actions, ne se souvient ny soucie plus de toutes les paroles données, et traite ses amys comme ses plus grands ennemys, ce qui a réduit ceux qui l’ont suivy au petit nombre qui luy en reste, n’ayant mesme pu, dans l’estat où il est et ayant besoin de tout le monde,