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pour satisfait d’avoir constaté la manœuvre des engins et l’habileté des pêcheurs qui y étaient dressés. Que fallait-il faire en face du refus opposé par « les élémens » à notre travail ? Le plus sage parut d’aller déjeuner, et le yacht vint se ranger au long de la falaise de Sorrente, qui dresse à pic son tuf volcanique. Un escalier creusé dans le roc permet de le gravir, et de temps en temps des ouvertures encadrées d’aloès laissent entrer dans ce tunnel la lumière du dehors et la gaîté de la mer qui s’arrondit dans le merveilleux golfe. Faut-il encore parler du début d’après-midi passé sur une terrasse à demi ruinée, ombragée de grands oliviers et de ces orangers célèbres qui, selon l’exacte notation de Renan, portent à la fois leurs fleurs et leurs fruits ? Faut-il dire le charme de ces jours de repos qui de temps à autre coupent le séjour scientifique et combien sont fécondes les tranquilles causeries entre gens venus de si loin, qui diffèrent moins encore par la race et l’hérédité que par l’éducation reçue ? Le soir, le vaporetto longea le piano de Sorrente et sa falaise de tuf, bientôt remplacée par des pentes calcaires plus hautes et plus douces, verdoyant de tous leurs arbres, au milieu desquels les villas éparses mettent des teintes claires. La nuit tombée, mille lumières brillent sur la côte ronde, une clarté monte derrière le Vésuve, en détache la noire silhouette, et bientôt au-dessus du volcan la pleine lune paraît ou disparaît suivant le rythme de la houle berceuse. Captivés par ce rare spectacle, objectivant dans un rêve géologique notre propre mouvement, il nous semble que cette terre tant de fois bouleversée est encore la proie de quelque gigantesque convulsion.

La chaloupe à vapeur n’est pas le seul endroit de la station où se réunissent volontiers les zoologistes : la bibliothèque est aussi un centre d’attraction très puissant. Elle ne laisse rien à désirer pour le nombre et le choix des volumes. Commencée en 1872 avec les livres particuliers de M. Dohrn, elle ne cesse de s’accroître par des dons ou des échanges. Le docteur Schiemenz est préposé à l’administration de ce domaine. Dans une salle spacieuse, aux murs décorés de fresques, les volumes, « qui ne sont pas toujours à la reliure », s’alignent d’une façon en apparence ordinaire ; et cependant, sans le secours de personne, avec le seul catalogue, on tombe à tout coup sur le livre dont on a besoin.

Nous avons vu comment la station fonctionne, comment le travail y est assuré ; terminons en indiquant ce qu’elle produit pour la science. Il est impossible d’apprécier d’une façon sensible l’influence exercée sur chaque visiteur par la fréquentation d’autres savans venus de partout, ni de dire ce que l’hétérogénéité des idées a pu semer en lui qui germera plus tard. Bornons-nous à signaler les œuvres qui éclosent sur les lieux mêmes. La station