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une audience à Mazarin[1]. M. le Prince était fort inquiet de ce que son confident pourrait dire, et d’avance il niait hardiment : « Toutes ces rumeurs d’un prétendu accommodement de la cour avec moy sont des inventions, des bruits qui naissent à point nommé ; agissez de telle sorte que le cardinal ne puisse tirer aucun parti des bruits qu’il fait courir[2]. » L’excellent homme ne comprenait pas à demi-mot ; comme il s’acharnait à suivre l’affaire, il fallut modérer son zèle. Du reste Mazarin avait pris les devans ; avec un mélange de raillerie, de regrets, de dépit, il défendit qu’on lui en parlât plus longtemps.

M. le Prince eut-il la pensée d’exploiter le désappointement de sa sœur et de son beau-frère pour les engager dans son parti militant ? « Nous ne pouvons plus songer à rien tirer du cardinal que ce que nous luy arracherons par la force. Asseurez ma sœur qu’elle peut, sans aucun scrupule pour les intérêts de sa famille, s’abandonner à toute l’amitié qu’elle a pour moy et aller à pleines voiles dans la voye où la porte la passion qu’elle a tousjours eue de me servir utilement. Qu’elle ne feigne point d’asseurer à M. de Longueville que, dans la disposition générale des affaires, il pourroit donner un branle et une secousse à la fortune du cardinal, dont celuy-cy ne se relèvera jamais[3]. »

M. de Longueville fut confondu de ce coup de théâtre ; c’était un renversement complet : « Je n’y comprends rien », écrivit-il aussitôt à d’Auteuil. Il venait d’envoyer à M. le Prince un plan d’accommodement, très complet, par lui signé et garanti au nom de Mazarin[4]. Faut-il chercher dans ce message l’explication de la reprise soudaine du 4 mai ? Vesta (Condé) donne à 69 ( ?) le pouvoir de traiter, « m’obligeant à ratiffier, dedans un mois après, tout ce qu’il aura accordé et promis pour moy, et de le faire sçavoir aussytost aux M. d’ E. (ministres d’Espagne), pour qu’ils apprennent ce que l’on aura fait de ma part ».

D’un seul bond il semble qu’on touche au but. Mais, le 24, tout était rompu. M. le Prince se plaint « d’avoir été marchandé comme un cheval », défend qu’on lui reparle de propositions pareilles : « Voilà qui est finy pour jamais-». Il rudoyé d’Auteuil sur ses maladresses et ses imprudences, et il se plaint que « M. et Mme de Longueville ont hasardé de me perdre sans ressource en

  1. 31 mars.
  2. M. le Prince à d’Auteuil, 27 mars 1658. A. C.
  3. Le même au même, 28 avril 1658. A. C.
  4. 22 avril. — Ce projet ne manque pas d’intérêt, car on y voit figurer les concessions que Mazarin feignit d’improviser à la fin des conférences de l’ile des Faisans, tandis qu’elles étaient depuis longtemps arrêtées dans son esprit : le gouvernement de Bourgogne substitué à celui de Guyenne, la charge de grand-maître accordée à M. le Duc, etc.