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Page:Revue des Deux Mondes - 1893 - tome 120.djvu/27

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roi catholique avait établi son quartier-général : don Luis de Haro dirigeait en personne les opérations contre le Portugal. Il était, à ce moment, d’assez belle humeur, tout radieux même d’avoir repoussé l’agression insolente des ennemis, — on disait au camp les rebelles, — qui venaient de lever le siège de Badajoz[1] et quittaient le territoire espagnol.

L’envoyé de M. le Prince fut donc accueilli avec bienveillance, quoique avec quelque surprise, car sa visite n’était pas annoncée. L’entretien porta sur les intérêts financiers de Condé, sur sa situation politique et militaire aux Pays-Bas, et sur la continuation de la guerre, qui semblait probable. Don Luis professait une véritable admiration pour le glorieux allié de son roi : « Pourquoi, s’écria-t-il en frappant du pied, pourquoi Peñaranda s’est-il embarqué, passant par Inspruck, d’envoyer en Flandre le jeune archiduc ! c’est à M. le Prince qu’il fallait donner le gouvernement des Pays-Bas. » Sans suivre le ministre sur ce terrain, Lenet se contenta de démolir la combinaison inventée par Peñaranda, insinuant qu’il fallait laisser faire la campagne prochaine à M. le Prince seul, assisté par Caracena ; plus tard, on pourrait essayer de l’archiduc en le faisant doubler par Fuensaldaña, dont Lenet affecta de vanter le mérite. De négociations nouvelles, pas un mot ; mais il fut fait allusion aux bruits répandus d’un accommodement direct de M. le Prince : Je ne saurais y croire, dit don Luis ; c’est encore une manœuvre du cardinal, » La réponse fut assez habile : « M. le Prince ne peut pas repousser les marques d’amitié de ses amis de France. Il ne cesse de répéter qu’il n’est pas irréconciliable ; mais il le sera toujours quand on ne parlera pas de réconcilier les deux couronnes. »

Ces explications étaient d’autant plus délicates qu’il fallait souvent parler devant un témoin incommode, fort au courant, que ses fonctions habituelles n’appelaient pas au quartier-général, et dont la présence semblait de mauvais augure pour le succès de notre ambassadeur : don Antonio Pimentel avait à maintes reprises traversé les desseins de Condé. Cette fois, il se montra conciliant, affectueux même, s’excusant du malentendu qui l’avait séparé de M. le Prince pendant le séjour de la reine Christine à Bruxelles, soutenant la candidature de Condé à tous les grands emplois, gouvernement de Flandre, généralat de l’Empire, etc.[2].

Que signifiaient cette rencontre et ce langage inattendu ? De retour à Madrid, Lenet eut bientôt le mot de l’énigme. Un des ministres, don Fernando de Contreras, lui apprit, en grande confidence, que Pimentel, appelé à Mérida, y avait reçu instructions

  1. 28 septembre 1658.
  2. Lenet à M. le Prince ; Mérida, 16 octobre 1658. A. C.