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bien ! Prenez cette feuille de papier, escrivez ce que M. le Prince trouve de sa convenance des places et estats du Roy ; le Roy le lui donnera, si celuy de France ne le satisfait pas. » — Ainsi pris à l’improviste, l’ambassadeur ne sut que répondre, et ne manqua pas l’occasion de se perdre dans les divagations. Le connétable de Bourbon fut remis en scène ; on revint au cas du prince de Conti, aux bruits d’accommodement et de traité particulier. — « M. le Prince ne peut jamais trouver de sûreté que par un traité général avec les garanties qui ont coutume d’y entrer, » dit nettement don Luis, et il avait raison. Cependant il finit par discuter diverses éventualités dans des termes qui trahissaient son hésitation et ne s’accordaient plus avec la fermeté de son langage sur le fond.

L’entretien fut repris plusieurs jours de suite ; don Luis tournait, retournait la question, l’examinait sous toutes ses faces : « Que pensez-vous de ceci ?[1] n’ayant pu obtenir la restitution du gouvernement de Guyenne à M. le Prince, mon roi lui donne le gouvernement des Pays-bas avec les mêmes avantages qu’avait le cardinal-infant ; ainsi muni, M. le Prince rentre dans son patrimoine en France et il attend que le roi très chrétien puisse lui offrir l’équivalent du gouvernement de Guyenne. — Pourquoi alors vous êtes-vous tant pressé de donner le gouvernement des Pays-bas à l’archiduc Sigismond ? répond Lenet. Il y a autre chose à faire. » Et le voilà lancé dans des considérations à perte de vue sur la sécurité que donnerait à l’Europe la création d’un État intermédiaire placé entre le Hainaut, l’Artois, la Champagne. — Sa conversation avec le jeune prince de vingt ans sur la terrasse de Dijon lui revenait en mémoire[2].

Don Luis accepte l’idée. Quelques jours plus tard, il communiquait à Lenet, peut-être après correction, deux dépêches de Pimentel[3] : « Les conditions qu’on nous propose sont bonnes, si bonnes que Mazarin ne doit vouloir conclure ni la paix ni le mariage de l’infante : il veut rompre sur le fait de M. le Prince. Pour de jouer sa manœuvre, il suffit de le prendre au mot : accepter les conditions offertes, tant au nom de S. M. catholique qu’au nom de S. A., annoncer en même temps que le roi d’Espagne a donné à M. le Prince la compensation de ce que la France lui refuse, le gouvernement des Pays-Bas et une souveraineté entre

  1. Lenet à M. le Prince, 13, 16 mars 1659. A. G.
  2. Voir Histoire des Princes de Condé, t. III, pp. 477-479.
  3. Lenet à M. le Prince, 6, 9 avril 1659. A. C.