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étude insuffisante, en se contentant, comme moyen d’investigation, des seuls puits de Néron. Au lieu de terrains homogènes et compacts d’allure régulière, on rencontrait des roches disloquées, dures à l’attaque, ébouleuses cependant, et les moyens mis en œuvre, les grandes mines profondes, les dragages à sec, se trouvèrent être inefficaces. Du même coup, il fallut adopter une méthode nouvelle, créer un autre matériel, se pourvoir d’argent et obtenir du gouvernement hellénique une prolongation de délai. Sans trop de peine on eut celle-ci. Le capital fut plus récalcitrant. L’enthousiasme des premières heures était refroidi : le tiers à peine des 60 000 actions émises à la fin de 1887 trouva des souscripteurs. Le Comptoir d’Escompte prit le reste, en garantie des avances qu’il consentait à faire, et, grâce à ce concours providentiel, les travaux reprirent avec entrain. En un an, la nouvelle entreprise déblaya deux millions de mètres cubes de terrains spécialement difficiles, et descendit la tranchée presque au niveau de la mer. On sentait qu’on approchait du but, on se croyait sauvé, lorsque, au mois de mars 1889, la chute du Comptoir d’Escompte entraîna celle de la Compagnie du Canal de Corinthe. Que restait-il encore à faire à ce moment ? Deux millions et demi de mètres cubes de déblai à peine. — Mais, en outre, il fallait soutenir par des maçonneries les talus trop raides dans les parties ébouleuses : c’était plus de cent mille mètres cubes de maçonnerie de toute sorte. Il fallait aussi des bassins de garage à Isthmia, et tous ces aménagemens de la dernière heure, pieux d’amarrage, bouées, signaux, outillage de toute sorte, qui ne sont pas sans représenter une certaine dépense. — Et on n’avait plus d’argent. L’heure n’était guère favorable pour demander aux capitaux français de nouveaux subsides en faveur d’un canal maritime inachevé. Une Société hellénique se substitua à l’ancienne ; c’est elle qui a eu le mérite de terminer l’œuvre interrompue. Le 26 août dernier, le canal de Corinthe a vu passer dans sa profonde tranchée une flottille en tête de laquelle marchait le yacht royal. — Dans le discours qu’il prononça à cette occasion, le roi Georges rendit hommage au général Türr et aux capitaux français qui avaient si largement contribué à l’œuvre dont on célébrait l’achèvement. C’était justice, d’autant que ce sera peut-être là l’unique récompense que recevront jamais et le promoteur et ses premiers actionnaires.

Que deviendra par la suite l’exploitation du canal de Corinthe ? Il serait téméraire de vouloir le prédire. Il est indifférent à la grande navigation méditerranéenne. Si Suez est d’intérêt général, Corinthe n’est que d’intérêt secondaire. La nouvelle voie n’améliore que les relations de l’Adriatique avec la Grèce orientale, les Cyclades, le Bosphore, la mer Noire elles côtes de l’Asie