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fourmilière. Sans parler de la consommation intérieure, elle fournit près des deux tiers de l’exportation britannique, soit une valeur de plus de 4 milliards, et donne lieu à un mouvement commercial de près de 21 millions de tonnes, dont 16 millions entrent ou sortent par le port de Liverpool et les autres ports moins importans de la Mersey maritime, Garston, Widnes, Runcorn, Ellesmere.

48 kilomètres à peine, en pays plat, séparent Manchester de Liverpool. Trois chemins de fer parallèles, reliés par de nombreuses lignes transversales, puis le canal de Bridgewater, celui formé par la canalisation de la Mersey et de l’Irwell, la rivière même de Manchester, réunissent le grand port de la Mersey à la capitale de King Cotton. Mais à quel prix ?

Il semblerait, à première vue, que cette multiplicité des voies de communication aurait dû assurer aux industriels de la région de Manchester le bénéfice de la concurrence, c’est-à-dire le bas prix des transports. Mais Stephenson disait avec raison |qu’il n’y avait concurrence que lorsque les concurrens étaient trop nombreux pour pouvoir s’entendre. Une coalition permanente, ce que la langue protectionniste, dans sa pudeur hypocrite, appelle un syndicat, réunit tous ces transporteurs interposés entre les deux villes, et leur concert fait supporter aux marchandises des tarifs exorbitans. De Liverpool à Manchester, le coton paie 8 fr. 60, le sucre 13 fr., les céréales 7 fr. 10 par 1 000 kilos. La distance étant, par la voie ferrée la plus courte, de 51 kilomètres, ce sont, comme l’on voit, des tarifs de 17,25 et 14 centimes par tonne-kilomètre. Le reste est taxé à l’avenant.

Ce n’est pas tout : le port de Liverpool a coûté fort cher et on y dépense encore beaucoup d’argent. La dette du Mersey Dock and Harbour Board dépasse aujourd’hui 425 millions de francs. C’est une lourde charge. Aussi les droits de port sont-ils multiples et fort élevés. Ajoutons qu’à Liverpool, plus peut-être que partout ailleurs, l’axiome « Les quais aux portefaix » est une coûteuse réalité. Le maître arrimeur a le monopole de la manutention à bord des navires ; le maître portefaix, celui du transport du camion au navire ou réciproquement, et le camionneur, à son tour, a seul le droit de voiturer la marchandise entre le port et la gare du chemin de fer ou la station d’embarquement du canal. Et il faut payer à chaque fois, sans pouvoir se soustraire à ces taxes, car cette organisation de rançons successives et obligatoires résulte de coutumes séculaires qu’après plusieurs tentatives infructueuses le commerce et le Parlement lui-même ne se sentent pas assez forts pour modifier. C’est donc avec une part égale d’exactitude que, dans l’enquête parlementaire relative au Ship Canal de Manchester, les représentans de Liverpool, d’un côté, ont pu dénoncer les tarifs