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plus moutonnier, et il est aussi difficile de prévoir ses caprices que de réformer ses habitudes. D’abord, ses manières d’exprimer l’approbation ou le blâme sont toujours les mêmes dans un même pays : applaudissemens et sifflets, chez nous. Puis, ce qu’il est habitué à voir sur la scène, il faut qu’on le lui montre toujours, quelque artificiel que cela puisse être ; et ce qu’il est habitué à n’y pas voir, il est dangereux de le lui montrer. Encore est-il à noter qu’un auditoire de théâtre est une foule assise, c’est-à-dire n’est foule qu’à demi. La vraie foule, celle où l’électrisation par le contact atteint son plus haut point de rapidité et d’énergie, est composée de gens debout et, ajoutons, en marche. Mais cette différence n’a pas toujours existé. En 1780 encore. — j’en trouve la preuve dans un article du Mercure de France du 10 juin 1780, — le parterre se tenait debout dans les principaux théâtres, et l’on commençait à peine à parler de le faire asseoir. Il y a lieu de penser que le parterre, en s’asseyant, s’est assagi ; et il en a été de même de l’auditoire politique et judiciaire chez les peuples qui, après avoir eu d’abord des parlemens forains composés de guerriers ou de vieillards debout sous les armes, ont fini par avoir des assemblées closes dans des palais et assises sur des fauteuils ou des chaises curules. Il est probable aussi que ce changement d’attitude adonné à chaque auditeur un peu plus de force pour résister à l’entraînement de ses voisins, un peu plus d’indépendance individuelle. S’asseoir, c’est commencer à s’isoler en soi. Le parterre est devenu, ce semble, moins misonéiste depuis qu’il s’est assis ; c’est seulement à partir de cette époque que la scène française a commencé à s’émanciper. Pourtant, même parmi des spectateurs assis, subsistent les agens de suggestion mutuelle les plus efficaces, surtout la vue. Si les spectateurs ne se voyaient pas entre eux, s’ils assistaient à une représentation comme les détenus des prisons cellulaires entendent la messe, dans de petites boîtes grillées d’où il leur serait impossible de se voir les uns les autres, il n’est point douteux que chacun d’eux, subissant l’action de la pièce et des acteurs pure de tout mélange avec l’action du public, jouirait bien plus pleinement de la libre disposition de son goût propre et que, dans ces salles étranges, on serait beaucoup moins unanime soit à applaudir, soit à siffler. Dans un théâtre, dans un banquet, dans une manifestation populaire quelconque, il est rare que, même en désapprouvant in petto les applaudissemens, les toasts, les vivats, on ose ne pas applaudir aussi, ne pas lever son verre, garder un silence obstiné au milieu de cris enthousiastes. À Lourdes, dans la foule processionnelle et orante des croyans, il y a des sceptiques qui, demain, au souvenir de tout ce qu’ils voient faire aujourd’hui, de ces bras en croix, de