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Page:Revue des Deux Mondes - 1893 - tome 120.djvu/379

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a une autre similitude : les unes comme les autres sont des formes de cette fameuse « lutte pour la vie » dont on a tant abusé ; formule commode qui doit les trois quarts de son succès, comme bien des gens, à sa souplesse seule. En effet, considérons les plus fécondes corporations du moyen âge : « Que l’on prenne, dit M. Prins, les plus anciennes et les plus simples, les gildes d’Abbotsburg, d’Exeter ou de Cambridge, fondées au XIe siècle en Angleterre ; celles du Mans ou de Cambrai fondées en 1070 et 1076 ; celle d’Amicitia dans la ville d’Aire, en Flandre, dont le comte Philippe confirma les statuts en 1188 ; ou que l’on étudie les plus puissantes corporations au temps de leur splendeur, les foulons de Gand, les épiciers de Londres, les pelletiers d’Augsbourg, au XIVe siècle ; c’est toujours l’application d’un même principe : des hommes incertains de l’avenir et menacés dans leurs intérêts cherchent le remède dans la solidarité. Leur histoire est d’ailleurs très simple, c’est la lutte des petits contre les grands. » On en dirait autant des Universités de jadis, grandes corporations intellectuelles, et même des corporations artistiques de la même époque, par exemple de celle des peintres constituée à Gand en 1337 sous le patronage de Saint-Luc. — Mais l’anarchisme, lui aussi, n’est que cela : une lutte contre la société supérieure. Seulement, il faut convenir que sa manière de lutter est toute différente. Pourquoi l’est-elle ? Pourquoi cette même cause, l’ardent désir d’un sort meilleur, a-t-elle poussé les uns à se solidariser dans le travail, les autres à se concerter pour le meurtre ?

Cette question, c’est le problème même des « facteurs du crime » si agité parmi les criminalistes contemporains ; mais c’est ce problème transporté des individus aux groupes, et posé pour les délits collectifs après ne l’avoir été que pour les délits individuels. En se déplaçant de la sorte, il s’éclaire et s’élargit, et offre un moyen de contrôler certaines solutions hâtives auxquelles ces derniers ont donné lieu. Ce n’est pas le moment de nous étendre sur ce contrôle. Par cette comparaison on s’apercevrait aisément que l’influence du climat, de la saison, de la race, des causes physiologiques est ici certaine, mais qu’elle a été fort exagérée. On verrait aussi que la part des causes physiques va décroissant dans les groupes à mesure qu’en s’organisant ils vont ressemblant davantage à un organisme individuel, que, par suite, elle est plus grande dans la formation, dans l’orientation honnête ou délictueuse des foules que dans celle des associations disciplinées : l’été, dans le Midi, pendant le jour, quand il fait beau, il est infiniment plus facile de provoquer des désordres dans la rue que l’hiver, au Nord, la nuit, et sous une pluie battante ; tandis que, dans les périodes de crise politique, il est