Page:Revue des Deux Mondes - 1893 - tome 120.djvu/389

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

seulement, comme font les foules, parmi des gens plus ou moins semblables entre eux par les instincts naturels ou l’éducation, mais qu’elles appellent et emploient diverses catégories de personnes très différentes entre elles. Qui se ressemble s’assemble, mais qui se complète s’associe, et pour se compléter il faut différer. Qui se ressemble s’assemble est surtout vrai des foules ; qui se complète s’associe est surtout vrai des sectes. Il y a non pas un seul type, mais plusieurs types jacobins, nihilistes, anarchistes. À propos des anarchistes lyonnais de 1882, M. Bérard a été frappé de leur composition des plus variées : « des mystiques rêveurs, des naïfs ignorans, des malfaiteurs de droit commun… sur le même banc, des ouvriers qui avaient lu beaucoup sans bien comprendre ce qu’ils lisaient, faisant le plus étrange amalgame de toutes les doctrines ; de véritables bêtes fauves, dont Ravachol a été depuis le plus bel échantillon ; enfin, les dominant tous, le fils de la plus autocratique des aristocraties, Kropotkine, lequel, de très bonne foi, croyait que la condition des paysans de France pouvait être assimilée à celle des serfs de Russie… », sans parler de véritables fous qui se mêlaient au groupe. — Voilà pour les praticiens du crime sectaire ; quant à ces théoriciens, qui s’en distinguent très nettement et parfois, très sincèrement, les répudient, ils ne sont pas moins multiples et divers ; il y a loin du génie hargneux et hautain qui forge contre le capital de spécieux théorèmes au tribun, comme Lasalle, qui les lance en brûlots, au journaliste qui les vulgarise et les applique et les frappe en menue monnaie fausse. Pourtant le concours de tous ces talens dissemblables et leur rencontre avec les mystiques, les naïfs et les malfaiteurs, dont il vient d’être parlé et qui ont eux-mêmes concouru ensemble, ce double concours et cette rencontre ont été nécessaires pour qu’une bombe de dynamite ait éclaté[1].

Physiquement, ils sont aussi hétérogènes que moralement. Quelques-uns sont des déclassés physiologiques et anatomiques, pour ainsi dire ; nombre d’anarchistes de Lyon paraissent avoir été dans ce cas. En cela ils ne ressemblaient guère à leurs confrères de Liège. Mais aussi faut-il observer que les nombreux attentats commis par ces derniers, dans cette ville, du mois de mars au premier mai 1892, n’ont eu d’autres suites que des destructions matérielles (notamment, dans l’église Saint-Martin,

  1. Le rapport entre les inspirateurs de la presse et les exécuteurs s’est montré avec évidence à Lyon. En octobre 1882, deux attentats ont eu lieu ; l’un, dans un café, qui, quelques jours auparavant, avait été désigné dans un journal anarchique : il y a eu un mort et plusieurs blessés ; l’autre, près du bureau de recrutement, qui venait d’être pareillement désigné par cette même feuille.