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ou en argent, qu’il remet tout aux pieds de Sa Majesté… »

Il est impossible, d’une part de s’incliner avec plus de noblesse et de faire amende honorable en termes plus dignes, de l’autre de ménager plus délicatement l’honneur du prince repentant, tout en affirmant l’autorité de la couronne. Nous sommes bien loin du traité Pimentel. Dans les articles qui suivent, la disposition est si habile, les noms des deux rois et de M. le Prince sont groupés avec tant d’art, la contre-partie de chaque concession arrive si bien à point, qu’en sauvant les apparences et sans que le roi très chrétien paraisse jamais traiter directement avec son sujet, l’ensemble a le caractère d’un contrat qui engage les deux couronnes vis-à-vis de Condé.

Dans le délai de huit semaines, M. le Prince devra remettre à son roi les trois places où il tient garnison, licencier ses troupes, et accepter, par écrit, tout ce qui a été convenu entre les plénipotentiaires des deux couronnes. « Moyennant l’exécution de ce que dessus, S. M. rétablira le dit sr Prince réellement et de fait en la libre possession et jouissance de tous ses biens, honneurs, dignités et privilèges de premier prince du sang de France. » — Le roi catholique, « au lieu de ce qu’il avoit intention de donner audit seigneur Prince comme dédommagement », devra remettre la ville et citadelle de Juliers au duc de Neubourg, et mettre entre les mains de S. M. Très Chrétienne la place d’Avesnes, « que la dite Majesté Catholique avoit l’intention de donner au dit sr Prince. Moyennant ce que dessus, en compensation des dites remise et cession, le Roi Très Chrétien donnera au dit sr Prince le gouvernement de Bourgogne et Bresse, du château de Dijon et de Saint-Jean de Losne, et à Monsieur son fils le duc d’Anguien la charge de grand-maître de France, avec survivance à M. le Prince ». Enfin M. le Prince était mis en possession du domaine de Bourbonnais, par échange avec le domaine d’Albret, « dont Sa Majesté a disposé autrement ». Ce dernier arrangement, qui convenait à Condé puisqu’il voyait ainsi le titre de duc de Bourbon rendu à sa branche, répondait au désir particulier de Turenne, qui s’était montré fort jaloux d’assurer le duché d’Albret à la maison de Bouillon et inquiet des intentions de M. le Prince[1].

Cette courte analyse suffit à faire comprendre quel avantage le traité du 7 novembre 1689 assurait à M. le Prince, à ses héritiers et descendans. Louis de Bourbon rentrait en possession d’une partie de ses charges et de tous ses biens, honneurs et dignités, non pas en vertu d’une amnistie, d’une simple déclaration royale, mais de par un traité de paix, un contrat synallagmatique,

  1. Turenne à Mazarin, 10 juillet 1659. A. C.