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un accord entre deux souverains. Pour les biens notamment, cet instrument diplomatique devenait un titre de propriété qui primait tous les autres et devait éloigner toute contestation, toute revendication.

Les domaines du Clermontois[1], don récent de la couronne, étaient les seuls spécifiés dans l’article relatif à la restitution des biens. Il en eût été de même pour Chantilly, si Mazarin avait pu maintenir sa prétention, faire considérer ce château et cette terre comme récemment distraits par donation du domaine de la Couronne ; mais il n’en fut rien, et la restitution de Chantilly se trouva implicitement comprise dans la clause générale.

Les lettres de Mazarin servent de commentaire aux articles, mais commentaire écrit pour les familiers, recueil de matériaux préparés pour répondre d’avance aux mécontens et aux envieux. Le cardinal énumère avec complaisance les concessions arrachées à don Luis, fait valoir la restitution de Juliers au duc de Neubourg, la cession d’Avesnes, Mariembourg, Philippeville à la France, et par le dédaigneusement de ce qu’il a lui-même concédé : M. le Prince frustré du gouvernement de Guyenne, réduit à celui de Bourgogne qui n’a guère d’importance ; la charge de grand-maître, qui représente un faible revenu, un médiocre patronage, et ne donne « d’autorité que sur des cuisiniers et gens de cette volée » ; encore est-elle accordée au fils pour lui refuser la Champagne ; le père n’a que la survivance.

Ce n’est pas de ce point de vue étroit qu’il faut envisager le grand acte de 1659. Laissons les argumens mesquins de discussion, les satisfactions d’amour-propre que chacun veut s’octroyer ; oublions aussi les fautes commises de part et d’autre, et contemplons le spectacle dans sa grandeur.

On a reproché à Mazarin de n’avoir pas tiré de la victoire des Dunes et de l’abattement militaire de l’Espagne tous les avantages que la France pouvait espérer. Sans doute le traité de 1659 n’est pas à l’abri de la critique ; la verve satirique de Saint-Evremond s’est attachée à en faire ressortir les points faibles ; mais en bravant l’exil pour accabler de sarcasmes la politique de Mazarin, l’auteur de la Lettre sur la paix des Pyrénées oubliait son jugement sur le « vaste » de Richelieu. L’application de la maxime : « il faut écraser l’ennemi vaincu, » n’a pas toujours réussi à ceux qui l’ont mise en pratique et poussée à outrance.

Oui, don Luis de Haro avait lutté vaillamment dans les conférences ; il en sortait sans humiliation. L’Espagne, ménagée, forte

  1. Clermont-en-Argonne, Stenay, Dun, Jametz. — Voir t. V., p. 123.