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Beethoven, ne pouvant par lui-même se rendre compte de ses talens, interroge sur elle tous ses visiteurs. Tous lui font l’éloge de sa voix et de sa méthode ; Schindler ajoute même qu’elle est « un modèle de moralité ». Mais elle est si timide « qu’elle n’ose point venir seule chez Beethoven, et si elle y va en compagnie de son amie Unger, elle a peur de rester inaperçue ». Enfin elle se résigne à ce dernier parti : Schindler annonce à son maître que la Sontag viendra le voir vers trois heures avec Caroline Unger.

Ici, nouvelle comédie. Beethoven et Schindler attendent les deux actrices, et celles-ci ne viennent pas. « Si elles ne viennent pas, écrit Schindler, c’est la jalousie qui en est cause. Caroline Unger m’a dit qu’elle aimerait mieux venir seule ; mais je lui ai répondu que vous ne la recevriez point si elle venait sans la Sontag. » On attend, on attend. Et la séance se termine par cette réflexion mélancolique : « Maintenant il est trop tard : elles ne viendront plus ! »

Le lendemain, ou l’un des jours suivans, Caroline Unger vient seule. Elle est chargée « de toutes les excuses de son amie Sontag, qui est de service au théâtre ». Et puis la voici qui ramène son éternel sujet : « Si seulement le Seigneur Dieu pouvait vous éclairer de sa grâce, de telle sorte que vous écriviez bientôt quelque chose pour moi, je saurais bien vous récompenser de votre peine ! Mais il faut vous hâter, car en décembre je pars pour l’Allemagne… Savez-vous une chose ? vous devriez-vous marier : cela vous rendrait peut-être un peu plus laborieux. »

Enfin Beethoven a trouvé des rôles pour les deux amies. Elles auront à chanter les soli dans un grand concert qu’il doit donner à ses frais, en mai 1824, et où l’on entendra ses deux compositions nouvelles, une symphonie avec chœurs et une messe solennelle. Aussi ses relations avec elles deviennent-elles presque quotidiennes. En mars 1824, un matin, elles font savoir par Schindler à Beethoven qu’elles viendront le soir même s’inviter à dîner chez lui. On discute le menu : « Il est temps encore : si l’on faisait rôtir les perdreaux ? »

Elles arrivent, et, comme toujours, c’est Caroline Unger qui parle seule tout le temps. « Nous ne sommes pas venues pour bien manger, dit-elle, mais pour causer avec vous. On nous a dit que vous prépariez un concert : est-ce que vous ne pourriez pas nous y donner des rôles ? »

Mais Beethoven est surtout préoccupé de son dîner. Pourvu qu’il soit passable ! Schindler s’excuse à plusieurs reprises de lui avoir annoncé si tard la visite des deux actrices. Et, de fait, le dîner était déplorable : non point peut-être les perdreaux, mais le vin. Schindler annonce le lendemain à Beethoven que la Sontag est malade, son amie aussi, toutes deux par la faute de cette horrible piquette. « Pour l’amour du ciel, écrit Schindler, la prochaine fois, donnez-leur de meilleur vin ! »

Et voici que les répétitions commencent. Le ton change tout de