mort, il l’a reconnu. Et maintenant le vieux roi Christian fait rechercher les assassins de ses deux fils. Le garde et sa petite-fille comparaissent devant lui, devant lui seul, et disent la vérité. Oui, Gottlieb a frappé le prince Otto, et s’il n’a pas fait d’aveux publics, ce fut non par crainte, mais par respect. Quant au prince Hermann, déclare Kate, il n’est pas mort, comme on peut le croire, de la main de Mlle de Thalberg, car Mlle de Thalberg l’aimait ; Kate le sait bien, elle qui fut au service de Frida : il a péri par la main d’une autre, d’une femme dont Kate a vu le visage sous un rayon de lune. À ce moment on annonce la princesse Wilhelmine ; Kate la regarde et retient un cri, mais pas si vite que le roi ne l’ait entendu. Et restée seule avec le vieux souverain, Wilhelmine confesse sa faute. Il l’écoute en silence, pleurant sur sa race dont ne survit plus qu’un frôle rejeton, le fils d’Hermann, un pauvre et souffreteux enfant. Puis il relève sa belle-fille ; douloureusement il l’absout et la proclame régente jusqu’à la majorité du petit prince Christian XVII.
Ainsi que le roman d’où elle est tirée, la pièce de M. Jules Lemaître est double, et, comme on devait le craindre, le drame de passion, dans la seconde moitié du moins, y a pris le pas sur le drame d’idées. Il l’a gardé plutôt, car dans le livre il prédominait déjà ; pour le livre et pour la pièce on ne peut que le regretter. Le véritable, le beau, très beau sujet entrevu par l’auteur, n’était pas l’aventure d’amour et de mort, à la fois trop banale et trop vraie, du prince Hermann et de Frida de Thalberg. Oui, trop vraie, trop analogue, sinon identique, à celle qui donna raison une fois de plus, il y a quelques années, à la parole mélancolique : « On a vu les reines pleurer comme de simples femmes. » Il eût été plus respectueux de ne pas rappeler si tôt ces royales douleurs. Sans compter que les convenances esthétiques souffrent un peu, comme d’autres, de la mise au théâtre d’événemens trop actuels. On perd ainsi en vérité d’art plus qu’on ne gagne en exactitude historique. Il est profond, ce mot de je ne sais quel artiste, cité par M. Cherbuliez : « Ce qui est arrivé me touche ; mais il n’y a que les choses qui n’arriveront jamais qui me fassent pleurer. » Elles sont pour ainsi dire trop arrivées, les choses que M. Lemaître rapporte ici autant qu’il les imagine. Portraits, allusions, ne satisfont guère que la curiosité, et manquent à deux grandes lois de la véritable jouissance artistique ou littéraire : l’impersonnalité et le désintéressement.
Le quatrième acte est le meilleur. La scène de l’interrogatoire et celle de la confession ont toutes deux une auguste et sombre beauté. Mais les jalons de la grande idée, de l’idée maîtresse, ou qui aurait dû être maîtresse et du roman et du drame, sont posés dans le premier acte et dans le second surtout, celui de l’émeute. Drame et roman, M. Lemaître les a tenus un instant. Quel dommage qu’ils lui aient échappé ! Mais quel honneur déjà de nous les avoir montrés ! Ah !