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PAPA FÉLIX.

En effet, des coups de feu et des commandemens s’entendirent vers l’avant.

On vit arriver au galop un officier d’état-major, figure rouge et colérique. Il criait de loin pour qu’on lui fît place.

« En colonne d’attaque, dit-il au colonel ; votre demi-brigade à la droite, un de vos bataillons en flanc-garde, guide à gauche pour la marche. » Et il passa outre, laissant loin derrière lui son ordonnance qui s’efforçait de suivre et frappait avec une gaule son cheval boiteux.

La formation étant prise, la division marcha lentement de front et gagna encore quelques centaines de toises ; arrivée au sommet d’une pente découverte, elle s’arrêta. L’armée eut alors devant elle, tout à la fois, l’objet et le champ du combat.

Des khans inégaux étaient groupés autour d’une villa très blanche, résidence de quelque riche propriétaire rural. Sur les terrasses, des Arabes grouillaient et brandissaient leurs armes ; d’autres grappes humaines pendaient dans des palmiers d’où fusaient, par intervalles, des coups de feu. Devant les fermes, des partis de cavaliers se mouvaient, portant des étendards. L’aspect de toute cette foule était bigarré, changeant, hostile.

C’était trop, vingt fois, d’une division pour écraser ce peu de monde. À qui le tour ? se demandait-on sur toute la ligne, et, sans plus se soucier de la réponse, les soldats s’asseyaient adossés aux arbres. Un escadron déboucha d’abord et chargea ; il y eut un instant de mêlée ; puis, l’élan français entraîna sur la pente adverse le noyau de la cavalerie ennemie qui, en lâchant pied, se désunit. Mais, reformée sans cesse par petits groupes, elle se relançait avec âpreté contre cette ligne qui la balayait, elle tentait de la rompre par de perçans chocs en retour. À la fin, décimée, elle disparut derrière des rideaux d’arbres, et l’écho répéta longuement le bruit fuyard de sa galopade.

Deux pièces, qu’on n’avait pas démasquées, tirèrent depuis la lisière du bois et défoncèrent un mur. Toutes les terrasses se vidèrent alors, et l’on vit s’assembler devant le village un peuple suppliant de femmes et de vieillards. En même temps, deux bataillons marchaient à l’assaut, sans tirer, l’arme au bras : car c’était la consigne et l’usage, dans la division Kléber, d’éviter le meurtre inutile. Quelques prisonniers, arrangés en une chaîne, furent jetés aumilieu des rangs. Une section de sapeurs reconnut les bâtimens ; puis, le commandement : En avant ! s’entendit sur tout le front. La place était nettoyée, on reprenait la marche.

Par un acte d’initiative dont il fut blâmé ensuite, le colonel de la 25e s’avançait vers la position, jaloux d’y prendre pied le premier. C’était un homme très bon, aimant le soldat, et qui comp-