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Page:Revue des Deux Mondes - 1893 - tome 120.djvu/59

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PAPA FÉLIX.

IV


Quatre jours après, la division se trouva réunie dans Meski au reste de l’armée. Là, on apprit tous les ravages que la peste avait faits dans Jaffa, et Lefelle, qui ne parvenait pas à découvrir Dhersin, s’alarma, pensa qu’il avait dû demeurer à l’arrière où il agonisait sans doute, étreint par l’affreux mal. Mais un servant de la batterie des obusiers, rencontré après la soupe du soir, le rassura. Dhersin était simplement en prison, ayant eu le malheur d’être de garde auprès d’une forge, une nuit où les chevaux avaient été volés par des Arabes tout nus, frottés d’huile, insaisissables.

Le lendemain, on reprit la route. L’équipage de Lefelle s’était augmenté d’un âne, acheté par troc au prix d’une paire de souliers. On se battit à Kerkoum et l’on se battit à Haïfa ; puis on fut au bord de la mer, sous une grande forteresse qui s’appelait le Mont Carmel. C’est là qu’on vit pour la première fois les deux bateaux anglais embossés dans la baie, ces chiens de bateaux qu’on devait assez revoir dans la suite, montant devant Saint-Jean-d’Acre leur infatigable faction. La pente de la montagne était couverte de fleurs. Lefelle, en s’y promenant, fit un gros bouquet. Or, on était aux environs de la Saint-Joséph. Quel dommage que Joseph Dhersin fût en prison ! L’occasion eût été bonne de lui souhaiter sa fête.

On passa deux rivières sur des ponts de chevalets, on se déploya en vue de la ville, et l’on s’établit sur une montagne dans un camp abondant en blé, en herbe, en bois et en eau, dans un excellent camp d’où l’on voyait évoluer la division Reynier, chargée d’investir Acre, blindée de murs, hérissée de tours, tendant sur le ciel la longue arête de son escarpe, bornant l’horizon du côté de la mer : un rude morceau à enlever... Mais ça, c’était l’affaire des sapeurs.

Bien sûr, on allait être chagriné de service devant cette place. Les bruits du camp rapportaient déjà qu’on ferait corvée du côté de la montagne pour couper des routes et coucher des abatis. Pourtant, l’ouverture de la tranchée fut faite encore par ceux de Reynier ; on eut un deuxième jour de repos. Jaillot restant au camp pour se raccommoder, Lefelle descendit avec Labait ; l’un voulait voir la besogne du siège, l’autre chercher de nouveau Dhersin.

À côté de la batterie de brèche, on en construisait une autre, destinée aux obusiers. Les canonnicrs dressaient les plates-formes ; les auxiliaires d’infanterie pelletaient et damaient la terre. Ils étaient gardés par un cordon de sentinelles ; mais en s’approchant d’un chantier, sans avoir l’air, Lefelle causa avec un piocheur.