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par lui sur les Afghans. Aujourd’hui, grâce à ce temps d’arrêt, les Anglais ont fortifié Hérat, affirmé leur influence en Afghanistan, poussé, par Kettah et le col de Bolan, un chemin de fer de pénétration qui, de la vallée de l’Indus, parvient aux portes de Candahar ; enfin ils viennent de compléter leur œuvre par la déposition du khan de Kélaf, accusé d’intrigues avec la Russie, et par l’annexion pure et simple du Mekran, zone littorale qui va de l’Inde à la Perse.

La mission que remplit en ce moment près de l’émir de Kaboul un haut fonctionnaire du gouvernement indien, sir H. Mortimer Durand, va sans doute achever d’établir de ce côté une barrière solide contre les progrès de la Russie. Il n’y a pas à se dissimuler que la situation de celle-ci est devenue beaucoup moins bonne depuis les événemens de ces derniers mois, ou plus exactement depuis un an.

Car maintenant, lors même que la Russie réussirait, dans un avenir prochain, par suite de circonstances qui peuvent se produire, à annexer la Perse, les Anglais pourraient tacher, pour prix de leur consentement à la disparition géographique de cet empire, d’en arracher pour eux-mêmes un lambeau, tout au moins celui qui borde la côte sud, davantage peut-être. Déjà maîtres du Mekran, ils s’étendraient ainsi jusqu’au détroit d’Ormuz dont ils s’empareraient, et ils bloqueraient la Russie dans le golfe Persique, de même qu’ils bloquent déjà la communication entre ses ports d’Europe et ceux d’Asie d’une façon permanente par Suez, par Aden, par Singapour, et comme ils la bloqueraient plus complètement encore, en temps de guerre, dans la mer Noire et la mer Baltique, en barrant par leurs flottes le Sund et les Dardanelles. Et peut-être même l’Angleterre exigerait-elle pour sa part plus que la zone littorale qui borde la mer d’Oman. Placée comme elle l’est depuis les derniers événemens, elle pourrait prétendre à la possession de toutes les côtes du golfe Persique lui-même et soulever ensuite une nouvelle question orientale, grosse de difficultés, celle du chemin de fer projeté dans la vallée de l’Euphrate. En résumé, ou voit que la Russie, qui, dans le partage de l’Asie centrale, avait marché à pas de géant et semblait avoir pris une avance définitive par ses brillantes conquêtes en Turkestan et par le traité de Tourkmantchaï, passé avec la Perse, semble maintenant distancée par sa rivale.


VII

L’Hindou-Kouch est atteint aujourd’hui de part et d’autre par les avant-postes des Anglais et des Russes, et, selon toute