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Page:Revue des Deux Mondes - 1893 - tome 120.djvu/65

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PAPA FÉLIX.


apprendre des tours… Tout en réfléchissant, il regardait autour de lui avec inquiétude, car, très brave dans le rang, il n’aimait pas se sentir seul en rase campagne. Il se rassura en voyant vers l’avant des cavaliers, debout sur la crête et qui se profilaient dans le ciel ; on avait donc pensé à placer des grand’gardes de ce côté. Et revenant à l’enfant : — Depuis combien de temps l’avait-on ? se demanda-t-il.

Il fit le compte des jours, qu’il trouva d’un mois et d’une semaine. Pendant tout ce temps, le petit n’avait pas eu de mal, ni cessé de téter sa chèvre : preuve de bonne santé, argument à faire valoir en sollicitant tout à l’heure cette place d’adoption. Puis, il se repentit de ne l’avoir pas pesé au premier et au dernier jour, et de ne pouvoir prouver par des chiffres l’embonpoint acquis et les bons soins rendus.

Il entrait dans la ville. Sentir des murs à droite et à gauche le gênait, lui coupait l’air. Les fenêtres lui semblaient autant de meurtrières et il doublait le pas en les dépassant, comme pour échapp&r à des pistolets braqués là contre lui.

— Bien sûr qu’ils n’ont pas fait la reconnaissance par ici, pensait-il, suspectant de paresse, indistinctement, tous les officiers de l’état-major et de la cavalerie.

Il arriva devant un bâtiment dont on n’apercevait que le toit, par-dessus un énorme mur d’enceinte ; une grille épaisse, doublée par des plaques de fer, en défendait l’entrée.

— Une caserne ! dit-il, et il allait faire demi-tour, quand une cloche se mit à tinter doucement derrière le mur. Il écouta ce bruit rythmique et caressant, et crut entendre cette sonnerie du couvre-feu qui l’endormait jadis, en France, aux premières heures de ses premières nuits. Doucement et chèrement, ce timbre résonnait en lui comme du fond d’un temps lointain. Et bientôt, de tous les coins de la ville, montèrent des chants pareils, mêlés en carillon. Tout un chœur de voix métalliques s’éveillait, volait en allégresse aux oreilles du grenadier.

Il frappa dans la porte à coups de pied, ayant dès longtemps oublié toute manière polie de se faire ouvrir. Un frère portier, en regardant par un guichet, lui demanda :

Que desea usted ?

— Je voudrais parler pour c’te petiot. C’est-il ici un asile à poser les enfans ?

No es usted francese ? redemanda le Frère, qui n’avait pas compris.

— Français, parfaitement. Moi, Français ; mais l’enfant, pas Français.

Le devinant aux gestes, ou rassuré du moins sur ses intentions,