— Formez la colonne !
Mais les Arabes, sentant l’adversaire à bout de forces, s’étaient ralliés, et, par une sorte d’alignement, se préparaient à une charge décisive. Ils s’appelaient, choisissaient leurs places et reculaient redoutablement. Les Français, ne tirant plus, les attendaient à la baïonnette. Un grand silence régnait sur cette troupe anxieuse .
À ce moment, on découvrit de façon certaine, à l’ouest, pardessus une levée de terre, des canons de fusil et des têtes mouvantes. De nouveau, des cris s’élevèrent :
« Le Petit Caporal ! Le Petit Caporal ! »
Du même côté, une salve éclata, signalant l’arrivée du renfort, et, poussant d’un coup d’éperon son cheval sur la digue, Bonaparte apparut.
Alors, devant le général qui venait au nom de la France et qui apportait le salut, devant l’homme de miracle qui avait deviné l’instant et le lieu, l’armée de Kléber, d’une seule voix, chanta la Marseillaise.
Il leva son petit chapeau et marcha vers eux. Il venait pour les secourir, mais en leur mesurant son secours. Si las qu’ils fussent, il voulait qu’ils tinssent quelque temps encore, car il avait son idée pour cette journée du mont Thabor, et de leur combat, il faisait sa bataille. Derrière lui, la brigade Rampon, mêlant son flux noir à la houle blonde des blés, allait droit à Kléber. La brigade Vial et les guides à pied se dirigeaient au sud-est, pour couper la double ligne de retraite de Naplouse et du Jourdain. Devant cette troupe, une horde mameluke fuyait, déboutée de son attaque et, cédant le terrain, la laissait libre de marcher vers le camp arabe et de le piller.
Kléber, reprenant sa troupe en main, et recouvrant sa mobilité, marcha de son côté. En se joignant à Rampon, il distendit l’adversaire et résolut son cercle en une maille plus lâche qui se rompit bientôt, s’égrena en mille fuites isolées, précipitées.
La brigade Vial fît la poursuite ; les autres s’établirent au bivouac, exténués. Dans la soirée, le bruit se répandit qu’on se rendait à Damas et en Perse, du côté de la Chine. Mais, en dépit de ces dires, toute l’armée se retrouva le surlendemain à Nazareth, où fut chanté un Te Deum, et l’on sut qu’on retournait à Saint- Jean-d’Acre, ce dont on se réjouit comme d’un retour en France.
Dhersin était là, revenu de Saffet avec le détachement Murat. Ayant perdu son chapeau, il portait maintenant un turban ; il avait adopté aussi les larges braies mamelukes, qu’il jugeait plus confortables ; enfin déchaussant un cadavre laissé par terre