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français ; le français est là comme signe de puissance et d’autorité ; l’Hérode anglais ne pouvait se flatter de descendre des ducs de Normandie, mais les sujets des rois angevins se seraient difficilement représenté un prince qui n’eût pas parlé français. Le français d’Hérode est mal châtié, et le parlement de Paris, qui devait s’indigner un jour de la mauvaise grammaire des Confrères de la Passion, eût bien souffert s’il avait vu mettre à la torture le noble langage de France sur les tréteaux de Chester.

Peu importait, et des mots quelconques suffisaient, puisque le français n’était autre chose qu’un signe, tout comme l’épée de saint Paul et le turban des païens.

Une des fonctions de ces turbulens héros était d’imposer le silence ; jaloux du bruit à faire, ils tenaient la main à ce que nul n’empiétât sur leur privilège : tâche que la foule indisciplinée des spectateurs ne rendait pas facile. « Tenez-vous cois, beshers ! » crie Auguste ; — beskers signifie « beaux sires » dans le français royal des mystères, « je vous l’ordonne ! pas un mot de personne ; moi seul je dois parler ! le premier qui remue, je lui lance ma foudre au nez ; aussi soyez muets comme des pierres ! « Silence ! crie Tibère ; Silence ! crie Hérode ; « bougez sans permission et je vous hache menu comme chair à pâté : small as flesh to pott ! » (Collection de Woodkirk.) Et chacun de ces princes, là-dessus, de se démener sur son tréteau, et de s’égaler pour le moins au soleil. « Au-dessus de tous les rois sous le cristal des cieux royalement je règne, dans la félicité, inconnu au malheur… » — « Du ciel et de la terre je suis gouverneur souverain, dit un autre… je suis le roi des rois. » — « Place, canaille, dit un troisième, pourquoi ne me saluez-vous pas ?… Il ne vous arrive guère de voir un prince comme moi, et le fait est qu’il n’y en a aucun sous le soleil… Je suis le roi de Marseille ! » De tels personnages n’ont peur de rien ; ils sont familiers avec l’auditoire et l’interpellent à chaque instant, ce qui ne devait pas contribuer au maintien du bon ordre : « Vois-tu toutes ces belles femmes ? dit l’Octave des mystères de Chester en montrant l’assistance ; choisis celle que tu voudras ; prends la plus jolie ; je t’en fais cadeau. » — « Ne suis-je pas le maître, dit Tibère, répondez tous ! » Et une note du manuscrit porte : « Ici le peuple répond d’un seul cri : Oui, Mylord, oui ! » Le tout était joué avec gestes appropriés, d’une emphase extrême et dont la tradition se conserva fort tard. Shakspeare condamne (comme Molière condamnait les comédiens de l’hôtel de Bourgogne) les acteurs de son temps qui « sur-hérodaient Hérode. »

Les auteurs des mystères anglais n’avaient pas grande