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sur les autres acheteurs. Les consommateurs qui seraient disposés à payer comptant supportent, de ce chef, une majoration de prix qui leur est onéreuse sans aucune compensation. Le commerce de détail morcelé est souvent, en outre, besogneux, jouissant lui-même de peu de crédit, d’informations restreintes, de sorte qu’il est obligé de payer assez cher les marchandises qu’il achète en gros, et qu’il ne peut pas toujours se procurer exactement les denrées qui conviendraient le mieux à l’acheteur et à un prix assez bas pour développer la consommation. Enfin, le commerce de détail, très morcelé, a pour le loyer, l’éclairage, le chauffage, les impôts, les transports, les employés, une proportion de frais généraux qui est très forte et qu’un appareil de distribution organisé beaucoup plus en grand pourrait réduire[1].

Par ces raisons diverses, on comprend l’utilité d’unions de consommateurs pouvant payer comptant, en état de choisir de bons gérans et de les contrôler. Cette utilité est d’autant plus manifeste en certains cas que plusieurs des commerces de détail, notamment relatifs à l’alimentation : par exemple, les boulangeries et épiceries, sont assez simples ; qu’il n’y a pas besoin d’une très longue préparation technique pour les diriger, que la gestion ni le contrôle n’en sont très compliqués.

Nous n’entrerons pas ici dans la pratique des sociétés coopératives de consommation. Il suffit d’en exposer les traits généraux : ces sociétés peuvent soit ne vendre qu’à leurs propres membres, c’est-à-dire à ceux qui ont contribué à la formation du capital, soit vendre à tout le monde ; dans ce dernier cas, quelquefois on fait payer un léger droit d’entrée à la personne qui, sans être membre de la société, veut y faire des achats. L’expérience a prouvé, ce que confirme d’ailleurs le raisonnement, que les sociétés qui ne vendent qu’à leurs propres membres ont moins de chances de durée et de succès ; elles peuvent moins étendre leurs affaires. Celles qui, au contraire, vendent à tout le monde ont des chances d’arriver à posséder, avec le temps, si elles sont bien conduites, une clientèle considérable, ce qui facilite leur développement ultérieur, en ajoutant à leurs moyens d’action et en leur permettant plus de variété dans leurs approvisionnemens et leur achalandage.

À un autre point de vue, les sociétés de consommation peuvent faire bénéficier immédiatement le consommateur de l’économie

  1. L’opinion publique s’exagère parfois cet écart entre les prix de gros et les prix de détail. Ainsi à Paris, la plupart des débitans vendent du vin à 50 centimes le litre et même à 0,43 ; or, l’on paie 19 centimes d’impôt et au moins 5 à 6 centimes de transport, non compris l’achat de la marchandise. Il en est de même pour le sucre. Au contraire, dans la boucherie, la pharmacie, il y a souvent un écart colossal et exagéré entre les prix de détail et les prix de gros.