Page:Revue des Deux Mondes - 1894 - tome 121.djvu/158

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

gré, selon la marche des choses, soit les ressources conciliantes, soit les apparences pacifiques, soit même les décevans détours. Cette conduite se trouva pleinement justifiée, car une atténuation temporaire des projets de Napoléon sur le Portugal se produisit assez inopinément en présence de complications européennes.

Il est possible que la résistance du prince régent à la dangereuse entreprise qui lui était proposée ait fait hésiter le cabinet des Tuileries devant un acte de violence ; mais il est bien plus vraisemblable que la situation du continent lui fit comprendre la nécessité de ne rien détourner au Midi de son attention ni de ses forces au moment où il prévoyait une campagne contre de plus redoutables adversaires. L’Autriche et la Russie coalisées se préparaient en effet à une grande lutte, et Napoléon, pour faire face à cette agression inattendue ou du moins qu’il ne supposait pas aussi prochaine, se voyait contraint de renoncer au plan qu’il caressait depuis deux ans et dont il attendait tant, de profit et tant de gloire, à cette descente en Angleterre, bien plus intéressante à ses yeux qu’une guerre contre les ennemis du continent, tant de fois vaincus. A plus forte raison envisageait-il désormais comme secondaires ses visées sur la Péninsule ; il ne les abandonnait pas, — l’avenir ne l’a que trop prouvé, — mais il jugeait indispensable d’en ajourner l’exécution jusqu’à l’instant où, victorieux au Nord, il pourrait, en pleine liberté d’esprit, les reprendre de plus haut et parler absolument en maître à Lisbonne.

Junot, qui, sans être tout à fait instruit de l’état des choses, ne demeurait pas étranger aux affaires générales, ne fut donc pas surpris de recevoir une dépêche de M. de Talleyrand datée du 7 juin, qui, sans entrer dans aucun détail ni donner aucun commentaire, marquait un temps d’arrêt dans la politique française en Portugal. Le ministre, en quelques lignes concises, félicitait l’ambassadeur de sa conduite dans l’incident du convoi anglais, affectait gracieusement de partager son sentiment sur la difficulté d’obtenir promptement l’adhésion du prince régent à l’alliance, et terminait en lui disant : « Sa Majesté a jugé convenable, d’après vos observations, que vous restassiez au point où vous en êtes, sans aller plus avant dans l’une ou l’autre direction. » Ainsi le caractère de la mission de Junot était changé : au lieu d’exiger, il devait attendre ; au lieu de pousser le Portugal soit à céder, soit à rompre, il devait s’en tenir au statu quo[1].

Ces instructions étaient fort sages, mais leur brièveté et surtout l’absence de toute explication eussent pu induire en erreur un

  1. Arch. des Affaires étrangères. M. de Talleyrand à Junot, 7 juin 105.