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pour les hommes auxquels il prenait le plus d’intérêt. Je l’ai vu, malgré les plus vives instances, ne pouvoir obtenir une préfecture pour M. de Résumat, qui lui avait donné les plus grandes marques de dévouement au jour du danger.

Une telle situation eut été dure, même pour un homme moins autorisé à se croire des droits à la bienveillance de son souverain, et devait sembler intolérable à M. de Talleyrand. Il était impossible qu’il ne songeât pas à user, pour en sortir, de l’occasion qui se présentait. Il fallait qu’elle lui servît ou à se rendre plus agréable, ou à devenir tellement utile qu’on se vît de nouveau obligé de compter avec lui. S’il choisissait cette dernière ligne, il devait, en arrivant à Vienne, se mettre à la tête des vrais intérêts de la France ; s’il ne les faisait pas triompher entièrement, il sauverait au moins tout ce qu’il serait possible de sauver. Il serait ainsi tellement l’homme du pays qu’il faudrait bien lui accorder la considération à laquelle il prétendait, lui suivant l’autre route, il n’aurait qu’à étudier les inclinations particulières de la maison de Bourbon, à les faire valoir en toutes occasions ; peut-être retirerait-il plus de fruits de cette obséquiosité que des services déjà rendus et dont on tenait si peu décompte. Ajoutons que les allaires pécuniaires de M. de Talleyrand n’étaient pas alors en bon ordre. Il avait fait de grandes pertes dans les dernières années de l’Empire : la seule banqueroute de la maison Simon de Bruxelles lui avait emporté plus de quatre millions, sans parler d’une somme très considérable qu’il avait, à je ne sais quel propos, reçue de la ville de Hambourg et dont Napoléon exigea la restitution. Ses embarras étaient tels que, si le duc de Rovigo ne lui avait pas fait acheter très chèrement, par le trésor particulier de l’Empereur, son hôtel de la rue de Varenne, il aurait eu de la peine à remplir des engagemens sérieux[1].

M. de Talleyrand arriva à Vienne à la fin de septembre avec M. de Dalberg, M. de la Tour du Pin, ministre de France à la Haye, et le comte Alexis de Noailles, qu’il s’était fait adjoindre avec le titre de ministre plénipotentiaire. Il était bien assuré qu’aucun de ces personnages ne le gênerait, ne se permettrait même la plus légère contradiction.

L’empereur de Russie et le roi de Prusse avaient fait leur entrée le 27 septembre ; les rois de Danemark et de Wurtemberg les avaient précédés ; le 28 arrivèrent le roi de Bavière, le duc de Brunswick, l’Electeur de liesse et le grand-duc de Bade.

  1. L’hôtel fut accepté en payement de la somme réputée comme ayant été frauduleusement reçue de la ville de Hambourg ; il valait plus que cette somme. Le surplus, dont le trésor de l’Empereur tint compte à M. de Talleyrand, lui servit à acheter la maison de la rue Saint-Florentin.