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navire de guerre le Boston, mouillé dans le port de Honolulu, décrétèrent la déchéance de la reine, son l’emplacement par un gouvernement provisoire et l’annexion des îles aux États-Unis. À la même heure les compagnies de débarquement du Boston occupaient la ville, paralysant la résistance des défenseurs de Liliuokalani, laquelle, reculant devant l’effusion du sang, déclarait céder à la force et en appeler au président et au Congrès des actes de leurs propres a gens.

Il était difficile en effet de pousser plus loin que ne le faisaient les résidens américains, le ministre plénipotentiaire G.-L. Stevens et le commandant du Boston, le mépris du droit des gens et l’abus de la force. Ni les griefs articulés contre la reine, ni les actes de son gouvernement ne justifiaient de pareilles mesures. On accu sait Liliuokalani de désirer le retour à la Constitution de 1866 et sa substitution à celle de 1887, imposée par les planteurs à Kalakaua, son prédécesseur. Elle n’était en cela que l’interprète des vœux des indigènes. Cette Constitution de 1866, en partie mon œuvre et celle de Kaméhaméha V, longuement discutée en Convention nationale, avait, aux yeux des Américains, le tort impardonnable de déclarer inconstitutionnelle toute tentative d’aliénation du royaume. Celle de 1887, par laquelle on l’avait remplacée, prévoyait l’annexion, la légitimait d’avance en la faisant dépendre du vote de la majorité dans les Chambres. Elle autorisait donc les complots et les intrigues et portait en elle-même des germes de sédition. Quant à l’allégation des annexionnistes, que la reine n’était pas de descendance royale, qu’elle tenait ses droits de l’élection et non du sang, elle était au moins singulière dans la bouche d’hommes qui, répudiant tous droits héréditaires, ne tenaient pour valides que ceux que conférait le libre choix des électeurs.

Liliuokalani ne descendait pas en effet de la race des Kaméhaméha : cette race était éteinte depuis la mort de Kaméhaméha, cinquième du nom, mais elle était de la race des Aliis ou grands-chefs, parmi lesquels la constitution prescrivait, en cas de vacance du trône sans héritier direct, de choisir le nouveau souverain. Elle était, en outre, sœur du roi Kalakaua, auquel elle avait succédé suivant l’ordre établi lors de l’avènement de la nouvelle dynastie. Je l’avais comme jeune fille, avant son mariage avec J.-O. Dominis, qui était, lui, de descendance américaine, né aux îles, et qui fut, pendant mon ministère, gouverneur de Honolulu. Lydia Liliuokalani, élevée à l’école spéciale des jeunes nobles, dirigée par les missionnaires américains, y avait reçu une excellente éducation. Elle parlait également bien le kanaque et l’anglais ; elle était bonne musicienne et composait à ses heures ; sans être jolie, elle avait du charme et de la grâce, l’usage du monde, beaucoup de gaîté et un