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adoration, croiraient commettre un sacrilège en le profanant, ceux-là, le monde est trop petit pour leur rêve, il faut qu’ils en sortent, qu’ils meurent après avoir souffert.

Kathinka, donc, l’ineffable amante, est de ceux-là. Elle a épousé, sans trop le connaître et parce que le mariage est une des nécessités fatales de la vie en société, un employé de chemin de fer, Baï, ni plus intelligent ni plus sot qu’un autre, ni pire ni meilleur, un homme quelconque, comme vous et moi nous en avons rencontré des milliers sur notre chemin. Ils vivent isolés, dans une maisonnette solitaire, au bord de la route par où passe la vie tout entière, la vie triviale, la vie hâtive et fiévreuse, la vie brutalement indifférente. Le sifflet aigu des locomotives, la basse continue des wagons sur les rails accompagnent le récit, sont le thème continu sur qui l’idylle mélancolique brode ses discrètes et plaintives mélodies. Un jour, dans cette existence calme et close où végètent, dans la monotonie des habitudes, ces deux êtres si peu faits l’un pour l’autre, mais qui s’en vont, comme deux forçats liés par la même chaîne, vers un but inévitable, arrive l’Inconnu, celui qui ouvrira l’horizon illimité de la passion. Haus a voyagé, il a vécu peut-être, mais son cœur est vierge encore. Il vient dans la petite ville comme régisseur d’un château voisin. Comment entra-t-il dans l’intimité des époux ? Qu’importe ? que valent les menus événemens de la vie pour qu’on s’en occupe, pour qu’on les rapporte et qu’on les analyse ?

Donc, il est reçu dans la maison au toit de briques du chef de gare, et l’amour naît, bientôt, entre l’épousée et lui. Ce n’est d’abord qu’une inconsciente similitude de goûts et de désirs ; leurs natures sont semblables, au fond de leurs entrailles se cache le même germe, puissant et doux, de large tendresse. Mais rien, dans leurs calmes attitudes, dans leurs gestes tranquilles, qui laisse soupçonner l’héroïsme passionnel dont leurs cœurs sont tout pleins. Elle est une campagnarde du Nord, d’humeur paisible et rêveuse, petite, blonde et pâle. Les ardeurs qui dorment en elle sont contenues, éteintes par les idées bourgeoises d’honnêteté vulgaire et de morale courante. Elle est mariée, mais elle est restée vierge d’esprit, soupçonnant à peine ce que peut être le délire amoureux et ces étreintes haletantes où l’on trouve un bonheur dont on voudrait mourir ; l’éducation, le continuel spectacle de vertus placidement pratiquées, l’habitude de la pensée assoupie et de la conscience quiète, la discipline sociale, en un mot, la discipline qu’imposent et les mœurs qu’on subit et tous ceux qui vous entourent, tout cela éloigne d’elle le désir de l’adultère. Elle n’aime pas son mari, sent confusément peut-être qu’elle ne l’aime pas ; mais elle ne se doute pas qu’il est un