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Barras ayant rendu le dernier soupir à onze heures du soir, ses papiers furent précipitamment entassés dans deux grandes malles, que Mme de Barras, Paul Grand et Courtot, ancien maître d’hôtel de l’ex-directeur, devenu son homme de confiance, firent déposer au domicile de M. de Saint-Albin, dans le courant de la même nuit.

La précaution n’était pas inutile, car le lendemain, 30 janvier 1829, un juge de paix, assisté de son greffier, se présenta au domicile du défunt pour apposer les scellés. Ce magistrat agissait en vertu d’un ordre du procureur du roi daté du 15 juillet 1825. À cette époque, en effet, la santé de Barras était déjà gravement ébranlée, et le ministre de la justice, M. de Peyronnet, « ayant appris que M. Barras était très malade et sachant qu’il avait entre les mains des papiers du gouvernement, et notamment des lettres autographes émanées de Louis XVIII, avait donné pour instruction à M. le procureur du roi de faire apposer les scellés, quand le moment serait venu, sur tous les papiers de Barras qui pourraient intéresser le gouvernement[1]. »

Un certain nombre de pièces, en particulier des lettres du temps de la république, furent mises sous scellés, malgré l’opposition de Mme de Barras et des amis de l’ex-directeur, qui objectaient au juge de paix qu’il n’avait pas le droit d’agir en vertu d’un ordre donné quatre ans auparavant par un ministre tombé depuis du pouvoir.

Cette saisie donna lieu à un procès intenté par Mme de Barras à l’Etat[2], procès qu’elle perdit en partie, bien que les plus éminens avocats ou jurisconsultes de l’époque, Isambert, Barthe, Chaix d’Est-Ange, Coffinières, Odilon Barrot, Renouard, etc., eussent appuyé de l’autorité de leur adhésion formellement motivée la consultation citée plus haut, dans laquelle Pierre Grand, frère du filleul de Barras, déclarait illégale et arbitraire cette apposition de scellés sur les papiers d’un homme qui depuis plus de trente ans n’avait exercé aucune charge dans l’Etat, et que d’ailleurs son titre de directeur n’avait rendu « ni fonctionnaire, ni dépositaire public ». En conséquence, la plupart des pièces mises sous scellés restèrent aux mains du gouvernement, et c’est apparemment ces pièces qui, — trouvées aux Tuileries par la coin-mission chargée après la révolution de 1848 de dépouiller les papiers du roi Louis-Philippe, — furent restituées à la famille de

  1. Tentative d’enlèvement des papiers politiques de l’ex-directeur Barras ; consultation à ce sujet par M. Pierre Grand, avocat à la cour royale, suivie des adhésions motivées. Paris, 1829, chez Delaforest, libraire.
  2. On peut lire les intéressantes plaidoiries prononcées à cette occasion, dans la Gazette des Tribunaux, n° du 28 février et du 7 mars 1829.