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III. — DÉBATS ENTRE MM. ROUSSELIN DE SAINT-ALBIN ET PAUL GRAND AU SUJET DE LA PUBLICATION DES MÉMOIRES DE BARRAS.

Dans un codicille en date du 30 septembre 1827, Barras avait ajouté à son testament la clause suivante : « M. de Saint-Albin s’adjoindra Paul Grand pour la rédaction de mes Mémoires, sous les ordres de ma femme, et le prix leur sera dévolu à chacun au marc la livre, et Courtot entrera dans le bénéfice. »

Cette disposition fut l’origine de longs débats entre les quatre personnes qu’elle intéressait.

Les papiers de Barras remis à M. R. de Saint-Albin quelques heures après que l’ex-directeur eut rendu le dernier soupir se composaient d’un nombre considérable de pièces : lettres autographes de généraux, d’hommes politiques, de personnages célèbres, rapports, documens de toutes sortes, les uns conservés par Barras au moment où il rentra dans la vie privée en 1799, les autres rassemblés par lui dans la suite, en vue de la composition de ses Mémoires, comme l’atteste la lettre, citée plus haut, d’une fille de Tallien. S’il faut en croire M. Paul Grand, le nombre de ces pièces n’aurait pas été inférieur à quinze mille. Outre ces précieux documens, les deux grandes malles déposées chez M. R. de Saint-Albin, dans la nuit du 29 au 30 janvier 1829, contenaient les fragmens des Mémoires dictés par Barras ou rédigés de sa main et les notes sur lesquelles il avait consigné tel de ses souvenirs ou telle de ses médisances et de ses rancunes. La tâche de M. de Saint-Albin était d’abord de « classer, de mettre en ordre les manuscrits de Barras et les pièces à l’appui », et, ce premier travail accompli, de procéder à la « rédaction dernière » des Mémoires, dont Barras n’avait pas eu le temps d’arrêter lui-même la forme définitive.

On remarquera que ces expressions de M. Paul Grand, déjà citées plus haut, déterminent avec toute la précision désirable la part respective de Barras lui-même et de M. Rousselin de Saint-Albin dans la composition des Mémoires. Il ne serait pas juste de dire qu’ils sont d’un bout à l’autre de la main de Barras ; mais j’affirme qu’ils sont l’expression absolument fidèle de la pensée, des jugemens, et particulièrement des haines de l’ancien membre du directoire. Toutes les notes, tous les fragmens autographes de Barras que j’ai pu déchiffrer et que j’ai comparés avec les passages correspondans des Mémoires sont en parfaite concordance quant au fond, sinon quant à la forme, avec la rédaction de M. R. de Saint-Albin.

Deux exemples suffiront, je pense, à mettre en lumière la