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Richelieu, en compensation, lui donne un autre logement communiquant directement avec le sien. Là, installé avec quatre secrétaires, capucins comme lui, il peut mettre sans relâche au service du ministre sa rare puissance de travail et son infatigable dévouement. Un de ces quatre secrétaires était le Père Ange de Mortagne, compagnon et confesseur du Père Joseph. Il est donc dans tous ses secrets. C’est lui qui fournira plus tard la meilleure part des renseignemens et des documens utilisés dans les deux ouvrages de Lepré-Balain.

M. Fagniez a pu reconstituer une journée du cardinal de Richelieu et du Père Joseph. Le tableau est intéressant. On est toujours curieux d’assister en quelque sorte à la collaboration de deux hommes qui ont exercé une action si considérable sur les affaires de leur temps. Pour Richelieu, le travail commence avant le jour. Dès deux heures du matin, le souci des affaires et le triste état de sa santé le tiennent en éveil. Il appelle un secrétaire, il dicte, il annote des documens, il suppute les forces militaires que la France peut mettre en ligne, les dépenses que coûtera l’entretien de toutes ces armées sans compter celles des princes étrangers plus ou moins à la solde du roi. Vers cinq heures, il se recouche, mais il ne reposera pas longtemps. L’heure des audiences arrive. Trois personnes invariablement sont admises les premières chaque matin : le directeur des postes ; le gouverneur de la Bastille, Charles du Tremblay, frère du Père Joseph ; et enfin le lieutenant civil Laffemas. Avec eux le ministre s’occupe de ce qu’on appellerait aujourd’hui la sûreté générale. À cette époque on disait plus simplement et plus franchement « la police ». Le directeur des postes lui livre le secret des correspondances privées ; le gouverneur de la Bastille le renseigne sur les conversations des prisonniers avec le personnel chargé de les surveiller ; le troisième lui rend compte des procédures entamées et des condamnations prononcées. Dès qu’ils sont partis, la porte s’ouvre pour le Père Joseph : la politique générale, la politique étrangère surtout, va prendre et garder le premier rang dans les préoccupations du reste de la journée. Le cardinal, qui reste au lit, se fait communiquer les dépêches et les instructions que le capucin a dictées au Père Ange de Mortagne ou aux trois autres capucins. Il les approuve ou bien indique les modifications à y apporter. Le Père Joseph rentre dans son appartement. Là il reçoit les ministres étrangers, les agens sur le point de partir, les émissaires de tout genre, des missionnaires religieux. Là les hérétiques se croisent avec les moines, qui tiennent une grande place dans la diplomatie secrète du temps. Puis il revient auprès du ministre,