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visées, et se moins préoccuper de la mort que de la vie. Dans toutes les armées du monde on souhaite avancer vite ; c’était le désir des officiers de la troisième légion comme des autres, et ils demandaient avant tout à ces collèges militaires auxquels ils étaient associés de les aider à faire leur chemin. Nous voyons le collège des lieutenans donner huit mille sesterces (1 600 francs) à l’un de ses membres qui travaille à devenir porte-drapeau ou centurion, La somme est forte et laisse croire que les démarches qu’il avait à faire pour « cultiver ses espérances, » comme il dit, devaient être assez dispendieuses. C’est que, pour devenir centurion, il ne suffisait pas d’adresser une pétition à l’empereur, comme semble le dire Juvénal[1], il n’était pas inutile d’aller solliciter à Rome en personne. Le voyage était long, et le séjour dans la capitale de l’empire coûtait cher ; cependant on bravait la dépense pour être plus sûr de réussir. On a trouvé à Lambèse, au milieu d’une assez belle mosaïque, qui sans doute, décorait la maison d’un homme riche, une base qui devait porter une statue de Bacchus. C’est un préfet du camp (sorte de major de la légion) qui l’avait élevée, et comme il était poète en même temps qu’officier, il y avait gravé quelques petits vers que nous avons conservés. Voici ce qu’il disait au dieu en finissant : « En récompense des présens que je t’offre, conserve mes enfans et leur mère ; accorde-moi de voir Rome et d’en revenir revêtu de l’honneur que je souhaite et couronné de la faveur de mes maîtres. » Espérons que ces prières ont été exaucées, et que, grâce à la protection de Bacchus, ce préfet du camp est revenu tribun militaire à Lambèse.


VI

L’histoire nous montre que, de toutes les armées que Rome entretenait dans les provinces, il n’y en a peut-être aucune qui ait mieux servi son pays et aussi bien accompli sa tâche que l’armée d’Afrique. Elle était peu nombreuse, nous venons de le voir, et avait à surveiller un territoire immense ; mais elle a suppléé au nombre par sa vigilance, sa fermeté, sa connaissance des lieux et des hommes. Elle a eu quelquefois à soutenir des guerres véritables, qui lui ont demandé de grands efforts. Sous Tibère, le chef numide, Tacfarinas, tint les Romains en échec pendant sept ans, et ne fut vaincu que par la trahison. Comme Jugurtha et Abd-el-Kader, il avait des réguliers, équipés et organisés à la romaine, et qu’il n’engageait que dans les combats sérieux. Sous ses ordres, un chef vaillant, Mazippa, conduisait des nuées de cavaliers qui

  1. Et vitem posce libello.